A propos du fameux sit-in El-Kamour, certaines vérités doivent être rappelées pour situer ce mouvement, déclenché en 2017 et qui se poursuit encore à Tataouine, dans son contexte politique. Car ce mouvement est d’abord et surtout politique. Décryptage…
Par Imed Bahri
Le fait que la parti islamiste Ennahdha et son satellite Al-Karama observent un mutisme total à propos de ce mouvement est en soi très parlant. En fait ce mouvement est mené par des membres sinon des sympathisants de ces deux partis. Et il dépasse le cadre d’un simple mouvement social, image qu’il veut se donner pour mieux déguiser ses motivations et ses visées politiques.
Saïd Chebli, le mentor des agitateurs d’El-Kamour, accusé dans l’assassinat de Lotfi Nagdh
Le mentor de ce mouvement, qui était très visible en 2017 et qui semble avoir été appelé à rester en retrait, n’est autre que le Dr Saïd Chebli. Ce nom ne vous dit-il pas quelque chose ? C’est l’un des individus qui ont lynché et tué Lotfi Nagdh, le coordinateur de Nidaa Tounes à Tataouine, en octobre 2012. Il a d’ailleurs été accusé, avec les autres lyncheurs, du meurtre de l’ex-représentant régional de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) à Tataouine. Il a comparu devant les juges à plusieurs reprises et la justice tunisienne, dont on connaît le degré d’indépendance, a, après moult péripéties, innocenté les assassins, estimant les preuves à charge insuffisantes. L’affaire est toujours en cours et elle est à la phase de la cassation. Elle le restera pour combien de temps encore ? Posez cette question aux juges ô combien indépendants de la Tunisie post-révolution, mais il y a peu de chance qu’ils vous répondront.
Cette impunité dont bénéficient les lyncheurs et les assassins a, on l’imagine, incité ces agitateurs violents à reprendre leurs actions déstabilisatrices de l’Etat tunisien jusqu’à mener un mouvement quasiment sécessionniste, car considérer les ressources pétrolières et gazières exploitées à Tataouine comme étant la propriété des habitants de ce gouvernorat du sud tunisien, comme le font les sit-inneurs d’El-Kamour, qui bloquent la production pétrolière et gazière dans la région depuis le 16 juillet 2020, c’est faire preuve de régionalisme, et le régionalisme, on le sait, a souvent des relents sécessionnistes.
A qui profite l’instabilité alimentée à Tataouine ?
Ecoutez les speechs du porte-parole du sit-in El-Kamour, le très bavard Tarek Haddad, que Saïd Chebli considère comme son fils (sic!), et vous serez choqués par ses positions à la limite de la rébellion ouverte contre l’Etat et de la désobéissance civile. C’est à peine s’il n’appelle pas ouvertement à un régime d’autonomie interne pour Tataouine, mais au rythme où vont les choses et face au laisser-faire et au laxisme suicidaires des autorités (présidence de la république, présidence du gouvernement et Assemblée des représentants du peuple), cela ne saurait tarder.
Un autre aspect mérite d’être souligné ici: le lien géostratégique existant entre l’instabilité alimentée à Tataouine par les mouvements islamistes et la guerre civile en Libye, où les islamistes, soudoyés par deux Etats étrangers, militairement par la Turquie et financièrement et médiatiquement par le Qatar, tentent d’imposer un Etat à la solde de l’Organisation internationale des Frères musulmans.
Les sit-inneurs d’El-Kamour et leurs commanditaires à Tunis, Ankara et Doha, inscrivent ce mouvement soi-disant social dans un contexte géopolitique régional qui cherche à faire du sud tunisien un ventre mou propice à tous les trafics, et notamment celui des armes.
Le fait que les sit-inneurs d’El-Kamour soient clairement soutenus et financés par les contrebandiers infestant cette région frontalière tuniso-libyenne n’est pas étranger à ces calculs où des intérêts locaux, régionaux et internationaux contribuent à déstabiliser l’Etat tunisien et à affaiblir son contrôle sur son territoire.
Et là, la position d’Ennahdha et son silence complice sur ce qui se passe à El-Kamour sont on ne peut plus trouble, car le parti islamiste tunisien, qui est au pouvoir à Tunis, maintient des liens très forts avec les milices islamistes déployées à l’ouest de la Libye à la frontière de la Tunisie, ainsi qu’avec Ankara et Doha, qui les soutiennent et les financent, et le président du mouvement Rached Ghannouchi ne fait pas mystère de ses liens personnels privilégiés avec les dirigeants turcs et qataris.
Est-ce de tout cela que parle le président de la république Kaïs Saïed lorsqu’il évoque des complots contre l’Etat tunisien menés par des parties internes liées à des parties étrangères ? Si c’est le cas, M. Saïed doit cesser son bavardage ennuyeux et stérile, assumer ses responsabilités de chef d’Etat, appeler les comploteurs par leurs noms et prendre les mesures qui s’imposent pour protéger le pays et préserver son unité aujourd’hui menacée.
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