Le Nidaa Tounès aurait épargné aux Tunisiennes le port obligatoire du khimar et du tchador et rien que pour cela sa création n’aura pas été inutile, même si désormais il ne représente plus rien. C’est en tous cas ce qu’a déclaré l’ancien ministre de l’Education Néji Jalloul sur les ondes d’une radio privée. Autrement dit, ce mouvement, ou rassemblement, a sauvé la femme tunisienne de la barbarie intégriste. Est-ce vraiment le cas ?
Par Dr Mounir Hanablia *
Pourrait-on considérer que toutes ces personnalités cossues rassemblées autour de Béji Caid Essebsi ne faisaient en réalité partie que d’un Women’s Lib essentiellement masculin dont le point d’orgue fut certes cette célébration de la Fête de la Femme en 2012 au cours de laquelle le président du Nidaa, dans un discours demeuré célèbre, demanda au parti Ennahdha de dégager, conformément à des engagements antérieurs pris avant les élections de la Constituante ?
Ennahdha pour une islamisation en douceur
Le miracle aurait donc été que le parti Ennahdha eût obtempéré sans plus de façons, permettant ainsi à M. Jalloul d’avancer sa théorie actuelle. Ce qu’il ne précise pas, c’est si ce prétendu sauvetage in extremis de la femme tunisienne d’entre les griffes des talibans a été la raison de la création du mouvement, sa conséquence, ou bien l’un de ses effets collatéraux. En considérant qu’il en eût été la raison, cela signifie que la Troïka, l’ancienne coalition gouvernementale conduite par Ennahdha, aurait décidé, lors de son accession au pouvoir en 2011, d’islamiser la tenue vestimentaire féminine, mais rien ne permet de penser que tel eût été effectivement le cas, et mis à part des actes isolés ou bien la pression sociale dans certains quartiers, il n’y eut de toute évidence aucune campagne organisée en ce sens venant du sommet de l’Etat.
Les propos de Moncef Marzouki à propos des «safirat» («dévoilées») avaient déjà suscité une tempête de protestations et malgré la venue de certains prédicateurs égyptiens déséquilibrés prêchant les vertus de l’excision, tels le Cheikh Wajdi Ghonaim, la stratégie nahdaouie tendait plutôt vers une islamisation en douceur dont les enfants seraient les cibles principales.
Abdelfattah Mourou, le «modéré», l’un de ceux qui avaient accompagné le Cheikh lors de ses tournées, avait été très clair sur la question, lorsqu’il avait déclaré, dans un accès de sincérité inhabituel, que ce qui l’intéressait n’était pas les adultes mais leurs enfants. Et il est plutôt difficile de considérer que la question de la femme eût constitué la préoccupation immédiate et urgente justifiant la fondation du Nidaa, ou bien l’un des dossiers des discussions menées sous l’égide du Quartet du dialogue national pour obtenir le départ du gouvernement de la Troika.
Il n’en était sans aucun doute déjà rien dans l’esprit de Béji Caid Essebsi lors de son mandat de Premier ministre provisoire, en 2011, lorsque la police avait été consignée dans ses casernes et que la rue et les mosquées avaient été désertées par l’autorité publique, dans ce qui restera l’une des décisions les moins excusables de sa carrière, celle-là même qui avait pavé la route au triomphe d’Ennahdha lors des élections de la Constituante.
Souvenons-nous, durant cette dizaine de mois où il n’y eut plus de policiers dans les rues du pays, ni de gendarmes dans ses campagnes, et où le territoire contrôlé par un Etat mis en liquidation se résuma en la Kasbah et l’avenue Habib Bourguiba, et mis à part un certain effet d’émulation chez les salafistes, il n’ y eut aucun autodafé visant les femmes à travers leurs tenues vestimentaires, à l’instar de ce qui avait eu lieu par exemple dans la Turquie d’Atatürk, ou bien de mesures contraignantes systématiques semblables à celles qui avaient cours en Iran lors de la prise du pouvoir par Khomeiny, ou en Arabie Saoudite.
Les affairistes s’accommodent d’une mainmise obscurantiste sur la société
La nouvelle Constitution dans l’élaboration de laquelle le Nidaa, absent de l’assemblée constituante, ne joua évidemment aucun rôle, du moins directement, ne remit pas plus en cause les droits des femmes reconnus depuis 1956. Cela ne disculpe évidemment aucunement les islamistes tunisiens de toute intention à ce sujet, et les récentes déclarations du Dr Affès et du Cheikh Jaziri ne le confirment que trop. Cela absout d’autant moins le mouvement fondé par Béji Caid Essebsi, qui passera à la postérité comme ayant été celui de certains milieux d’affaires soucieux de défendre leurs intérêts à travers la loi dite de Réconciliation, leur assurant une impunité judiciaire définitive, dans un processus distinct de celui de la justice transitionnelle.
L’alliance parlementaire du Nidaa ou de son avatar principal actuel, Qalb Tounès, avec le parti islamiste ou ses dérivés populistes, en dépit de promesses électorales contraires, indique plutôt que ces milieux sous certaines conditions s’accommodent bien d’une mainmise obscurantiste sur la société.
Si le Nidaa n’est plus aujourd’hui qu’un musée qui s’écroule, c’est parce qu’il a tout simplement atteint les objectifs que ses fondateurs lui avaient assignés. Et à la lueur crue des faits aucun argument valable ne vient conforter la théorie de l’ancien ministre relativement à une préoccupation de ce mouvement des acquis de la femme, ni en amont, dans sa fondation, ni en aval, dans une quelconque influence exercée sur sa politique, particulièrement ses alliances parlementaires. On pourrait même ajouter que l’investissement massif du mouvement par des citoyennes inquiètes de l’avenir fut un apport électoral considérable qui ne fut pas payé en retour.
On se posera néanmoins la question de connaître les mobiles actuels animant Néji Jalloul. Ambition politique ? Vanité ? Menace ? Opportunité de commenter l’actualité ? Volonté d’occulter la trahison politique d’un mouvement qui n’a pas tenu ses promesses électorales vis-à-vis de ses électeurs et surtout électrices ? Volonté de se disculper? Sa déclaration aura au moins été intéressante autant par ses omissions que par son rapport onirique à la réalité.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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