Passer de la jeunesse à la vieillesse c’est passer, le plus souvent, de la réalité à sa photocopie. Réflexions sereines sur le «naufrage» de la vieillesse.
Par Jamila Ben Mustapha *
Quand on était plus jeune, l’existence était divisée nettement en deux parties : celle qui permet d’assurer les besoins de la vie quotidienne et englobe l’entretien de sa personne, de son lieu d’habitation et, en conséquence, les courses à l’extérieur nécessaires pour assurer toutes ces fins; et celle, plus lourde, et perçue comme l’essentiel aux yeux de l’adulte débutant dans la vie, se rapportant aussi bien au travail qu’il exerce, éventuellement aux efforts nécessaires à sa promotion dans sa carrière, qu’à sa vie de famille et à l’élevage de ses enfants s’il en a.
À partir de la retraite, cette activité essentielle avec ses 2 pôles constitués par la profession et la famille, disparaît, les enfants, devenus autonomes, étant partis; mais se maintiennent pour le reste de l’existence, les objectifs immédiats se rapportant à l’entretien de soi, de sa santé, et à celui de son lieu de vie (même si on se fait aider, pour cela).
Ces buts, dans la jeunesse, étaient exécutés comme des automatismes, des évidences légères qui ne consommaient qu’une partie négligeable de notre énergie. À la limite, on les réalisait sans y faire attention.
Au troisième âge et plus, voilà que ces activités vont occuper le centre de l’existence et devenir des sujets de fatigue et de tracasserie. L’attention et la vigilance baissant, chacune d’elles devient une petite épreuve qu’on peut rater, et le pourcentage des erreurs, donc des tâtonnements pour les effacer, va aller en grandissant.
D’abord, marcher dans les rues de Tunis quand on y habite, sur les pavés inégaux de ses trottoirs, devient non évident : l’expression «savoir où mettre les pieds» acquiert toute sa valeur, au sens propre; ensuite, on ne peut transporter que des poids de plus en plus allégés; la capacité de concentration existe toujours, mais diminue; on fait les choses plus lentement – puisqu’on passe plus de temps à corriger les ratés – et, de préférence, à moitié.
Réaliser un acte aussi banal qu’éteindre toutes les lumières en quittant la maison, devient presqu’impossible et on a souvent la désagréable surprise d’avoir oublié d’éteindre un commutateur en y arrivant.
Une fois installé(e) chez soi, la perte de nos automatismes se traduit par des hiatus se produisant entre le petit projet à réaliser qui nous fait nous mettre debout, et l’oubli, momentané certes, du but à accomplir qu’on ne se rappelle qu’au prix d’un petit effort : on se souvient bien qu’on doit accomplir quelque chose, mais sans savoir quoi, au juste. On est là, au seuil de la chambre, à se dire : «Mais pourquoi me suis-je levé(e)?»
Quant à nos préoccupations moins immédiates, plus générales, on passe de l’amour aux histoires d’amour, de la participation aux manifestations (dans la Tunisie d’après 2011), de la vision directe des représentations artistiques, à leur prise de connaissance sur l’écran : l’espace virtuel se fait plus important, l’acteur en nous laissant, de plus en plus, la place au spectateur.
Passer de la jeunesse à la vieillesse c’est passer, le plus souvent, de la réalité à sa photocopie.
* Universitaire et écrivaines.
Donnez votre avis