Poétesse célèbre dans tout le monde arabe, Fadwa Touqan est la voix majeure de la poésie palestinienne. Née le 1er mars 1917 à Naplouse, elle est morte le 12 décembre 2003 à l’hôpital de cette même ville des suites d’une attaque cérébrale.
Sœur du grand poète Ibrahim Touqan, considéré comme le fondateur de la littérature palestinienne, qui l’initie à la poésie et lui apprend les règles de la prosodie arabe classique, ses premiers écrits sont des élégies funèbres, où elle conjugue au féminin les thèmes du romantisme: la nature, l’amour, la solitude, la tristesse, le désarroi, etc. Après la guerre des Six Jours de 1967 et l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, sa poésie s’oriente vers des thèmes plus nationalistes.
Dans son autobiographie ‘‘Le Rocher et la peine’’, elle raconte l’histoire émouvante de son enfance et de son adolescence enfermées dans la rigidité des règles familiales : «Mon histoire, c’est l’histoire de la lutte d’une graine aux prises avec la terre rocailleuse et dure. C’est l’histoire d’un combat contre la sécheresse et la roche». Elle précise que son temps «était celui de l’asservissement» et son espace «celui de la prison domestique», faisant ainsi allusion à son enfance difficile d’enfant non désiré dans une famille traditionnelle, avec un père despotique, qui l’a empêchée de poursuivre ses études, et une mère soumise. C’est ce qui l’a poussée à fuir le diktat paternel pour aller étudier à Oxford, en Grande-Bretagne, à devenir une féministe engagée et à fonder, plus tard, à Naplouse, un Centre de recherche sur la situation des femmes.
Dans le deuxième volume de ses mémoires intitulé ‘‘Le Cri de la pierre’’, Touqan évoque ses rencontres, notamment avec Moshé Dayan – qui la convoqua après avoir entendu parler de ses livres et des lectures qu’elle donnait lors de réunions secrètes –, ou avec Nasser, qui demanda aussi à la rencontrer. Elle y parle également de son espoir en une paix durable, et de ses amis, Palestiniens et Israéliens, et de la compréhension et du soutien qu’ils lui ont témoigné.
Dans ses poèmes de luttes (tel ‘‘Les Martyrs de l’Intifada’’), la poétesse décrit les souffrances de son peuple et la dureté de l’occupation. Dans son poème intitulé ‘‘La Nuit et les Cavaliers’’ elle écrit : «Il me suffit de mourir dans mon pays, d’y être enterrée, de m’y dissoudre et m’anéantir.»
Île où rêvent nos rêves;
Laisse-nous partir.
Délivre-nous de tes appels,
Scintillant mirage,
Fils de lumières si transparents,
Qu’ils nous ont pris au piège
Et jetés au désert.
Île absurde où rêvent nos rêves,
Tu nous as perdus.
Lorsque nous apparut ton ombre fraîche,
Nous avons dit: terre!
Voici l’invitation au repos,
Et de nos pas la récompense.
Ici nous entrons dignes et sauvés.
Ici nous déposons notre fardeau,
Et le chagrin de tant d’années.
Nous avons dit: Ici, notre âme oubliera.
Nous avons dit, nous nous sommes dit…
Le vert des prairies battait sous notre espoir.
Dieu! comme c’est beau l’espoir
Pour ceux qui errent au long des routes,
Pour ceux qui marchent la nuit sans compagnon.
Nous avons dit, nous nous sommes dit…
Ah, belle tromperie! Eclatante illusion!
Quand sur toi nous avons jeté l’ancre,
Nous rêvions.
D’abord, nous avons ramassé les pas perdus de notre vie.
Nous avons labouré, pour nos semences, les sillons de l’amour.
Nous y avons planté les désirs, l’amour
Frais, les nostalgies.
Mais la semence, nous l’avions jetée dans le sel.
Nous nous sommes trompés, entends-tu?
Nous avons jeté la semence
Dans les entrailles stériles de la terre.
Île où demeurent nos rêves,
Renonce à te nourrir de nos vains désirs
Et de nos vies.
Garde pour d’autres ta profusion,
Les méandres de l’ombre et de l’eau.
Déjà nous te tournons le dos.
L’espoir s’est tari en nos cœurs.
Rivages aux folles couleurs: adieu!
De nouveau, notre voilier se livre aux mains du vent.
Par lui nous porterons errance et perdition
-ô errance ô perdition-
Sur la mer hurlante et sans fond.
Nous combattrons la démesure des vagues.
Là nous offrirons nos vies.
À la mer nous laisserons nos vies en holocauste,
Et ce dernier combat.
Là prendront racine notre errance, notre destinée,
Pour s’affronter.
Là, au secret de notre sein nous mêlerons
Orgueil et blessures.
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