Nommé depuis seulement 2 semaines, le nouveau Comité scientifique en charge de la Covid (CsC) a déjà perdu la face. Et ce pour incompétence en matière d’analyse ex ante des impacts économiques de ses recommandations. Le tollé est général contre les mesures de resserrement du confinement, annoncées par le gouvernement Mechichi, sur recommandation du CsC, le tout sans données probantes. Ce comité n’est plus crédible et doit tirer sa révérence. Pourquoi?
Par Moktar Lamari, Ph.D.
Constitué d’une vingtaine de membres, quasiment tous professeurs en médecine et en pharmacologie, le CsC inclut aussi trois professeurs issus des sciences sociales (un anthropologue, un sociologue et une économiste). Ceux-ci ont manqué le coche et n’ont pas brillé par leur sens de l’anticipation et par la finesse de leurs analyses d’impacts ex ante des retombées économiques de leurs recommandations.
Un comité scientifique doit s’appuyer sur la science
La microéconomiste et ex-rectrice, Salma Zouari aurait laissé faire le Comité sans avertir ses collègues sur les risques et incertitudes relativement aux lourds impacts économiques des mesures de resserrement proposées. À se demander pourquoi : pour manque de temps, pour manque de données ou simplement pour manque de compétences en analyse ex ante et simulations des coûts-avantages des scénarios et mesures réglementaires.
Pour contrer la troisième vague de la Covid-19, le CsC n’a pas trouvé mieux que fermer tous les souks hebdomadaires (présents dans tous les villages et villes du pays), d’imposer le couvre-feu de 19h à 5 h du matin et de resserrer encore plus l’étau qui étouffe de larges pans des activités économiques, et PME végétant dans le secteur informel pour faire vivre quasiment une famille sur trois en Tunisie.
Le CsC a proposé ses recommandations de manière peu transparente et surtout sans présenter des chiffres sur les projections et les risques encourus sur les vies humaines et sur le nombre de vies à sauver si la Tunisie applique tel ou tel autre scénario de confinement.
Pour être crédible, un comité de ce type doit remplir au moins deux exigences. Autrement il ne pourra pas aider la prise de décision et mériter la confiance des citoyens.
Un : la neutralité politique, et de ce point de vue on n’a pas des preuves pour dire le contraire. Même si, certains membres du CsC sont connus pour avoir occupé des postes gouvernementaux et de gestion universitaire avec la bénédiction et la connivence de certains partis politiques au pouvoir aujourd’hui.
Deux, la compétence scientifique. Et c’est bien là que le bât blesse. En principe, un comité de scientifiques qui se respectentdoit étayer ses analyses par des preuves scientifiques, par des chiffres hors de tout doute, et ce au moins pour des raisons d’éthique en recherche. Autrement, il ne pourra convaincre la prise de décision et susciter l’adhésion des opérateurs économiques et acteurs sociaux.
De lourdes conséquences économiques
Le CsC a décidé à l’aveuglette, du moins au regard des enjeux économiques. Il a fait fi d’énormes impacts économiques directs que cela peut occasionner sur au moins 500.000 familles ayant des actifs employés dans le secteur du loisir nocturne du mois de ramadan: café, restaurant, pâtisserie, PME divertissement, etc.
En décrétant la fermeture des souks hebdomadaires, le CsC a indirectement pénalisé le pouvoir d’achat de plus d’un million de familles (cinq millions de personnes) qui s’approvisionnent régulièrement dans ces souks «bon marché» où les produits agroalimentaires se vendent moitié moins cher que dans les grandes surfaces et les marchés officiels. Rien que pour le mois du ramadan, la facture se chiffre en centaines millions de dinars, et ce en termes de pertes sociales : perte dans le surplus des consommateurs et dans ceux des producteurs et commerçants.
La CsC a pénalisé la concurrence économique et fait poindre la faillite à des dizaines de milliers de PME, déjà endettées et ayant des chèques en circulation… et dont les propriétaires risquent de se trouver en prison pour des années de leur vie.
Face à l’improvisation du CsC et face à ce type de gouvernance à l’aveuglette, la défiance ne s’est pas fait attendre. Le syndicat des travailleurs (UGTT), celui des patrons (Utica), celui des agriculteurs (Utap) ont tous affiché leur refus de respecter ces mesures et leurs auteurs. Ils ont ouvert le chemin à une «insurrection» qui risque de coûter cher à l’économie… et à la Tunisie.
C’est un autre camouflet et un nième revers pour ces élites dites scientifiques qui parlent au nom de la science et qui n’appliquent pas les ABC des principes fondamentaux et des enseignements de la science. Des élites qui trahissent leur vocation scientifique ne peuvent aider la prise de décision et renforcer la cohésion sociale en Tunisie.
La facture de telles décisions irréfléchies n’est pas uniquement économique! Elle est aussi politique : les couches sociales et les opérateurs économiques déclarent et officiellement la défiance et le non-respect de telles mesures en affichant des accents de contestation de masses et de soulèvements si l’État continue à prendre à la légère leur gagne-pain et leur bien-être collectif.
Responsabilités politiques et responsabilités scientifiques
Les responsabilités liées aux récentes mesures de resserrement du confinement sont fondamentalement politiques.
La responsabilité incombe et sans détour à Hichem Mechichi en personne et à un double titre : chef de gouvernement et ministre de l’Intérieur.
Au titre de chef de gouvernement, il aurait dû demander des analyses complémentaires et des précisions sur le rapport bénéfice-risque et sur les trade- off coûts-bénéfices.
Au titre de ministre de l’Intérieur, il aurait pu sentir le vent de la contestation et les risques d’insurrection liés à ce type de mesure. À se demander si les responsables de la sécurité publique ont été consultés… et quelles étaient leurs appréciations des risques sécuritaires liés à ces nouvelles mesures de confinement à quelques jours du mois de ramadan.
Coincé dans le coin, par sa décision irréfléchie, Hichem Mechichi rétropédale, s’en lave les mains et renvoie l’odieux sur le CsC. Or, tous savent que ce comité propose des avis, mais n’a aucun pouvoir décisionnel et aucune imputabilité liée.
Un gouvernement responsable et qui gouverne avec l’appui des données probantes, aurait pu envisager ex ante des mesures compensatoires bien-calibrées pour accompagner les PME, les consommateurs et autres victimes de ce type de mesures fondamentalement anti-marché et indifférente à la croissance économique.
Or, ici tout le monde sait que les caisses de l’État sont vides et 40% du Budget 2021 ne sont pas encore financés. Donc, les victimes de ces mesures savent pertinemment que les mesures d’accompagnement, s’il y en a, ne seront jamais à la hauteur de leurs pertes occasionnées par les mesures décrétées.
Le gouvernement Mechichi démontre encore une fois son incapacité à gouverner de façon concertée et sur la base des données probantes. Il n’assume pastoutes ses responsabilités politiques.
Il faut dire aussi, que les débats au sein du CsC (et au sein des medias) sont biaisés d’avance puisque ne voulant pas reconnaître deux échecs gouvernementaux, les prenant comme variables exogènes à leur proposition.
Le premier a trait au manque de lits dédiés aux services de réanimation (400 au total en Tunisie). Si le taux de remplissage atteint 80%, la solution serait de les dédoubler, plutôt que de fermer l’économie et empirer la situation socio-économique.
Le second a trait aux cafouillages et à la mal-gouvernance notoire en matière de vaccination et d’accès aux vaccins. Le CsC aurait dû s’exprimer à ce sujet et mettre l’accent sur l’urgence de rattraper les retards accusés par la Tunisie en matière de vaccination contre le Covid-19.
Face à son incapacité à produire des recommandations finement étudiées et analysées dans leurs divers impacts économiques et sociaux, le CsC doit tirer sa révérence et présenter ses excuses aux citoyens et à l’État, comme symbole de gouvernance qui mérite le respecte et qui exige que ses décideurs agissent en connaissance de cause.
Et avec ce type de comités scientifiques et ce type de décideurs au sommet de l’État, l’économie ne peut pas sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve depuis déjà un moment.
* Universitaire au Canada.
Donnez votre avis