Les réseaux sociaux ont relayé massivement et en temps réel l’acte de violence inouïe perpétrée mercredi 30 juin 2021 au cœur de l’hémicycle de l’Assemblée par le député Sahbi Smara à l’encontre de sa collègue Abir Moussi, à qui il a asséné trois coups de poing qui ont failli la mettre par terre dans une scène presque surréaliste que l’Assemblée n’avait jamais connu avant la soi-disant révolution du 14 janvier 2011. C’est à croire que celle-ci n’a pas instauré la démocratie et la prospérité comme nous l’espérions, mais a libéré les démons de la violence qui dorment au fond de nos acteurs politiques.
Par Raouf Chatty *
Les images ont montré un Sahbi Smara furieux, se levant de son siège et se dirigeant d’un pas ferme et déterminé vers sa collègue, l’agressant devant les autres députés présents. Et n’eut été l’intervention rapide de certains parlementaires pour protéger Abir Moussi, un véritable malheur aurait pu arriver à la présidente du Parti destourien libre (PDL), tant son agresseur était hors de lui.
En moins de trois mois, c’est la troisième fois que Abir Moussi se fait agresser violemment sous la coupole du parlement où les dépassements et les scènes de violence sont devenus monnaie courante, depuis le début de la présente législature, fin 2019, sur fond de divergences entre députés de différents bords politiques, et ce au vu et au su des pouvoirs publics et notamment du procureur général de la république qui, malheureusement, n’ont pris aucune décision efficace pour mettre fin à ces agissements scandaleux.
La violence vient toujours d’Ennahdha et de ses alliés
Le fait que les violences sont souvent le fait du même bord politique, à savoir le parti islamiste Ennahdha et ses alliés d’Al-Karama, un ramassis de salafistes, de jihadistes et d’opportunistes, prouve ce que la victime de ces violences, Abir Moussi en l’occurrence, n’a pas tort d’affirmer que, bien qu’ils soient élus démocratiquement, les islamistes restent imperméables à la démocratie et foncièrement violents. Tous leurs faits et gestes en apportent sans cesse la preuve, et pas seulement à l’Assemblée.
Ces violences, quelles qu’en soient les motivations, sont déplorables. Elles symbolisent la déliquescence de l’Etat et reflètent le très bas niveau moral et intellectuel de certains députés, qui n’ont aucun sens de l’Etat et qui sont réellement inconscients de l’importance des charges qu’ils sont censés assumer et des conséquences néfastes de leurs méfaits sur les gens qui les ont élus et le peuple en général, qui a perdu toute confiance dans les acteurs politiques tous bords confondus, désormais assimilés à des opportunistes sans foi ni loi et des malfrats fuyant la justice en se dérobant derrière une très opportune immunité parlementaire.
Ces violences alourdissent le climat de tension extrême qui règne aujourd’hui dans le pays, aggravé par une crise générale, à la fois institutionnelle, politique, économique, sociale et sanitaire liée à l’aggravation de l’épidémie de Covid-19, avec un nombre important de morts qui a dépassé 14.000, en 15 mois, plaçant la Tunisie parmi les pays les plus gravement atteints selon le nombre d’habitants.
Pour malheureuses qu’elles soient, ces violences ne sauraient être analysées sans référence à la situation générale dans le pays, caractérisée par la dégradation morale sans précédent d’une nation empêtrée depuis dix ans dans d’énormes difficultés et qui n’arrive pas à voir le bout du tunnel.
Le président Saïed ne peut pas rester les bras croisés
Les médias internationaux ne manqueront pas de faire leurs choux gras de ces scènes de violence politique dont les femmes sont souvent les victimes dans un pays qui se targue d’être une démocratie émergente et qui avait accompli, il y a soixante ans, une révolution progressiste en matière de droits de la femme.
Le président de la république, qui n’a jamais ménagé ses critiques à l’Assemblée, ne peut pas rester aujourd’hui indifférent et croiser les bras face à cette recrudescence de la violence à l’encontre des femmes, à un moment où le pays a plus que jamais besoin d’un État vigoureux et respectueux des droits. Il doit user de toute son autorité politique et morale pour engager la justice à se saisir de ce flagrant délit et d’engager les procédures légales nécessaires pour lever l’immunité parlementaire du voyou appelé Sahbi Smara et le traduire en justice. Car, sans son intervention, rien ne se fera, le gouvernement étant soucieux de ménager ses soutiens, fussent-ils violents, et la justice est empêtrée dans ses propres problèmes internes.
Le moment est également venu pour tous ceux qui doutent de la paralysie de l’Assemblée de se rendre à l’évidence et de comprendre que l’Etat ne pourra plus fonctionner avec un parlement qui est devenu aujourd’hui la risée de tout le monde. Il y va de la réputation de la Tunisie qui est plus que jamais écornée.
A bon entendeur…
* Ancien ambassadeur.
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