A 67 ans, je continue de rêver, de me rebeller, de raconter des blagues, même dans le box de la mort de la réanimation cardiologique, et d’espérer, enfin, que ce pays ira mieux… Je rêve encore qu’un président pousse son peuple à ne plus pleurnicher et à se prendre en main. Ce serait déjà un bon début, le reste ne tardera pas à venir…
Par Helal Jelali *
Depuis l’âge de 6 ans, je rêve d’un président qui dirait à son peuple: «Reboisez votre pays». De Kairouan à Gafsa, les Numides, les Romains, et les Arabes avaient déboisé des régions entières pour faire du feu…
Les transports en commun, grand créateur d’emplois, trop datés, des années 1930… les transports urbains du service public aux abonnés absents dans la plupart des villes.
Je rêve d’un président qui constaterait que notre pays ne manque pas d’eau et que son administration n’achète plus des usines de dessalement. Qu’il dise aux faux «géologues» que l’eau de la deuxième nappe phréatique est abondante et délicieuse.
Un président qui visiterait les millions d’hectares de terres agricoles en déshérence. Ce sont les plaines de deux côtés de la Dorsale tunisienne bien arrosées par la pluie… D’une beauté époustouflante entre Sbeitla et Sbikha…
D’un président qui reconnaîtrait que notre administration et ses réglementations date du XIXe siècle, du temps de Paul Cambon, résident général de la France en Tunisie, et qu’elle se considère plus comme une source d’ autorité qu’un service public.
Je rêve d’un président qui aimerait la Méditerranée, «vocation» maritime, économique et culturelle de ce pays depuis 2500 ans… Avons-nous une politique de la pêche? Non. La belle bleue est devenue la fosse de nos égouts et de nos poubelles, un vrai crime écologique.
Je rêve d’un président qui dira aux Tunisiens certains vérités… Et elles sont innombrables… Par exemple, l’éthique au travail… Et qui dénoncerait publiquement les «petites mains» de la corruption.
J’aimerais qu’un président dise que le tourisme tunisien dont la formule trois S («Sea, Sexe and Sun») des années 1960 est dépassée. Et que certains hôtels***** ne méritent qu’un seule petite*.
J’aimerais qu’un président dise un jour à son ministre du Tourisme: «Arrête de mentir et de compter les Algériens et les Libyens, qui font quotidiennement leurs courses en Tunisie, comme touristes. Tes chiffres sont gonflés de 4 millions de faux touristes».
Je rêve qu’un président dise toute la vérité sur la fiscalité de certaines professions libérales. Même Habib Bourguiba a reculé devant cette réforme, au début des années 1970. Il avait giflé son directeur des impôts, quand celui-ci lui a révélé les pertes de l’Etat, s’il n’augmentait pas les impôts. Conséquence de la gifle : l’honnête fonctionnaire a eu un infarctus de la myocarde…
Je rêve d’un président qui inviterait les agriculteurs du sud du pays à relancer l’élevage des dromadaires, un élevage qui sauve l’économie du Soudan, de la Mauritanie et de certains pays d’Asie Centrale. Dans les années 1930, les consommateurs mangeaient la viande des camélidés.
Je rêve d’un président qui casse les reins de certaines mafias avec, comme seul moyen, une vraie brigade fiscale: la solution de l’ancien président américain Franklin D. Roosevelt.
Qui dira franchement aux dirigeants de l’UGTT : «Vous êtes un syndicat de fonctionnaires et de travailleurs et non pas un parti politique… Un peu d’humilité SVP !» Leur rappelera: «Votre choix économique des années 1960 avec le collectivisme à été un échec historique et, dans l’affaire de la grève des mineurs de phosphate de Gafsa de 2008, vous n’étiez pas à la hauteur.» Et leur demandera d’arrêter d’organiser leurs réunions dans les hôtels chics.
Je rêve d’un président qui ouvrira le délicat dossier des investissements étrangers perdus, depuis belle lurette, dans les méandres de l’administration… Un dossier explosif…
Je rêve d’un président qui rendrait à la ville de Tunis son rayonnement culturel international et arrêtera cette «autochtonie» culturelle moisie. Tunis qui avait accueilli Patrice Chéreau, Yves Montand, Antony Perkins, Samuel Beckett, Michel Foucault, et j’en passe, et des médecins-chercheurs et des universitaires de renommée internationale qui y venaient présenter leurs derniers travaux. Un célèbre neurologue parisien, qui avait formé de nombreux de ses collègues tunisiens, Pr Michel Arthuis, m’a dit en 1990 : «Je n’ai jamais fait payer les Tunisiens pour mes conférences, parce que j’avais toujours été bien accueilli».
Qui rétablira au plus vite les échanges universitaires de haut niveau – chers à Habib Bourguiba et Mahmoud Messaadi – et bannis par Zine El-Abidine Ben Ali.
Pourquoi la culture est-elle presque totalement absente à Gafsa, à Sidi Bouzid, à Sbeitla: pas de théâtre, pas de cinéma, pas de conférences, aucune politique du livre, pas de club de musique…, le désert culturel avec toute son aridité. Sachez-le, monsieur le président, «la culture est l’âme de la démocratie», comme le disait l’ancien Premier ministre français, Lionel Jospin.
J’ai le droit de rêver d’un président esthète qui réhabiliterait – quoi qu’il en coûte – la vieille médina de Tunis et bien d’autres comme celle de Kairouan.
La Tunisie produisait des soieries, de la porcelaine fine de luxe, du lin de haute couture, des taffetas et des mousselines – aujourd’hui à 200 € le mètre carré à Paris –. Plus rien aujourd’hui. Notre artisanat est désolant. Nous avons «folklorisé» nos arts traditionnels. L’artisanat de luxe rapporte à la France plus que Airbus et les industries de l’armement : 50 milliards d’Euros…
Je rêve d’un président qui a le courage de constater que notre haute administration est à réformer de fonds en comble.
Je rêve d’un président qui agit dans la diligence. Le temps politique n’est jamais clément avec les retardataires.
Un président qui connaît l’économie de performance et à haute valeur ajoutée et non l’économie de sous-traitance. L’économie de performance est celle des start-up, de l’aéronautique, et même de l’agro-alimentaire haut de gamme.
Nos entreprises publiques coulent… Pourquoi et comment…? La vérité et rien que la vérité. Les audits devraient se faire avec le concours de compétences internationales indépendantes.
Je rêve qu’un président invitant quelques familles au Palais de Carthage et leur offrant un bon dîner, pour leur dire au dessert : «Vous avez les mêmes monopoles commerciaux depuis l’indépendance du pays… Ce soir, c’est terminé.»
Notre pays fût l’un des premiers au sud de la Méditerranée à fabriquer des puces et des circuits électroniques, c’était dans les années 1970 , bien avant la Chine et la Corée du Sud. La mauvaise gestion à fait disparaître les projets de la nouvelle technologie.
Je rêve encore d’un président qui déjeune et passe même ses congés avec quelques journalistes tunisiens et étrangers pour avoir un autre son de cloche que celui de ses courtisans.
Je rêve d’un vrai plan national de logements sociaux – souvent bloqué par certains promoteurs immobiliers – pour que des élèves de 8 ans ne marchent pas 5 à 10 kms à pieds pour rejoindre leur école.
La politique de l’environnement, M. le président est inexistante en Tunisie… Que du bla-bla-bla.
Je rêve de ne plus avoir de tendinite au pied – c’est très douloureux – à cause des trottoirs éventrés.
Demandez aux Tunisiens s’ils boivent l’eau de robinet… Même les plus pauvres se serrent la ceinture pour l’acheter en bouteille afin de préserver leur santé.
Que je n’oublie pas la 3e charge financière pour les familles de la classe moyenne, après le logement et la nourriture, les cours particuliers – 300 dinars mensuels, minimum, pour les élèves de l’enseignement secondaires –, encore un dossier explosif. Très explosif surtout avec l’UGTT. L’ enseignement public est presque privatisé.
Pas besoin d’être savant ou voyant. Voilà ce que «Echaab yourid» («Le peuple veut»), pour emprunter le slogan de campagne électorale du président Kaïs Saïed.
Je rêve encore que la parole se métamorphose en action.
Les rêves du peuple sont modestes, très modestes, ils n’ont pas besoin de business plan et de technocrates.
Mais, comme disait le situationniste Raoul Vaneigem : «La voie vers la simplicité est la plus complexe».
Le décorum administratif et juridique de l’Etat censure souvent ces petites rêveries populaires. Et c’est là le vrai problème…
Bonne nuit, M. le président, je dois dormir pour rêver encore.
* Ancien journaliste tunisien basé à Paris.
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