Quand il prend la parole, un président de la république doit savoir peser le sens et l’impact de ses mots, sinon, bonjour les dégâts ! Par ses dérapages à répétition, Kaïs Saïed ne rehausse pas son image, ternit aussi celle de la Tunisie qu’il est censé incarner et, surtout, grossit les rangs de ses détracteurs, qui ont de bonnes raisons de se liguer aujourd’hui contre lui. La preuve par Ali Kooli…
Par Imed Bahri
La présence de Ali Kooli, l’ancien ministre de l’Économie, des Finances et de l’Appui à l’investissement dans le gouvernement Hichem Mechichi (2 septembre 2020 – 2 août 2021) dans cette photo aux côtés de Jawhar Ben Mbarek et Yadh Elloumi, lors d’un sit-in de protestation contre le «coup d’Etat de Kaïs Saïed», a surpris plus d’un observateur. Elle n’a pourtant rien de surprenant. Explications…
Il est vrai que Ali Kooli, banquier de son état, plus technocrate que politique, s’était montré jusque-là très discret, en évitant de faire des déclarations à caractère politique ou de s’afficher dans des meetings pro ou anti-Kaïs Saïed. Aussi et s’il s’affiche aujourd’hui aux côtés des opposants les plus virulents au président de la république, c’est pour laisser enfin s’exprimer sa colère contre le locataire du palais de Carthage qui l’avait humilié en diffusant le 2 août 2021 une vidéo sur la page Facebook de la présidence de la république où il se plaignait du fait que le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Appui à l’investissement était alors injoignable au téléphone. Il était en vacances en Italie comme l’avait alors montré une vidéo ayant circulé à l’époque sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle M. Kooli fut limogé sans coup férir et remplacé par Sihem Boughdiri Nemsia.
Diffamation et diffusion de fausses nouvelles
«Il ne répondait pas au téléphone, qui est constamment éteint (…) Une situation comparable à celle de la fuite de Mustapha Khaznadar avec le trésor de l’Etat», avait alors justifié le président Saïed, par allusion à un triste épisode de l’histoire de la Tunisie survenu peu de temps avant l’instauration du protectorat français en 1881. La comparaison entre les deux hommes est non seulement complètement déplacée, mais elle contient une grave accusation de corruption, d’abus de biens sociaux et de vol dans les caisses de l’Etat que le président aurait sans doute beaucoup de mal à étayer par des preuves. Encore heureux que M. Kooli, ainsi blessé et outragé, n’ait pas jugé nécessaire de déposer plainte contre le président de la république pour diffamation et diffusion de fausses nouvelles et d’exiger réparation.
On peut estimer que le président de la république, s’il avait raison sur le fonds, en pointant du doigt la légèreté avec laquelle le super-ministre de l’Economie exerçait ses fonctions, il ne sut pas, en revanche, y mettre aussi la forme, en forçant clairement le trait, car l’accusation de «fuite avec le trésor de l’Etat», aussi brutalement lancée, était également aussi injuste que maladroite. Et ce n’est pas en humiliant ses ministres de cette manière triviale, indigne d’un président de la république, qu’on va améliorer la gouvernance du pays. Au contraire…
Par ses dérapages en série, le président Saïed ne rehausse pas son image. Il ternit aussi celle de l’Etat qu’il est censé incarner et, surtout, grossit les rangs de ses détracteurs, qui ont de bonnes raisons de se liguer aujourd’hui contre lui.
La parole présidentielle dévoyée
Blessé dans son amour propre, humilié et outragé, Ali Kooli, le technocrate bon teint, se transforme sous nos yeux en un activiste politique animé par la haine et qui ne rechigne pas à asséner lui aussi des coups bas à ses détracteurs.
Morale de l’histoire : quand il parle au peuple, un chef d’Etat doit éviter de laisser libre cours à ses ressentiments, se garder d’humilier ses adversaires comme ses collaborateurs et mesurer le poids et l’impact de ses paroles sur les gens. Sinon, sa parole finit par être dévoyée, tomber dans la vulgarité et se transformer en bobards de café du commerce.
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