Né en 1949, à Mexilhoeira Grande (Algarve), le poète Nuno Judice est une voix majeure de la poésie portugaise. Son œuvre, qui compte plus d’une soixantaine d’ouvrages, est récompensée des plus importants prix littéraires au Portugal.
Traduite dans plusieurs langues, sa poésie, narrative et profondément philosophique, est un questionnement existentiel vertigineux et fragile. Elle parcourt le temps dans un espace rempli d’interrogations, les plus éloignées comme les plus quotidiennes, dans un antagonisme qui ne laisse jamais indifférent.
Poète, romancier, essayiste, il a été professeur d’université, conseiller culturel du Portugal à Paris, et dirige, depuis 2009, la revue Coloquio Letras de la Fondation Calouste Gulbenkian. En 2013, il reçoit à Madrid, le Prix de poésie ibéro-américain de la Reine Sofia pour l’ensemble de son œuvre.
Parmi ses recueils (traduits en français) : Les degrés du regard, L’Escampette, 1993; Un chant dans l’épaisseur du temps, Coll. Poésie/Gallimard, 1996, trad. Michel Chandeigne; Le mouvement du monde, Le Taillis pré, 2000; Désir du vol, Fata Morgana, 2011; Navigation aléatoire, Corlevour, 2013.
Tahar Bekri
L’arrivée de l’amour
L’amour est arrivé, il a débarqué sur le quai
où personne ne l’attendait, et il a fait
trembler la ville entière, comme si
l’amour l’avait touchée.
Mais quelqu’un l’a vu sortir
de la barque, et l’a conduit jusqu’à la file d’attente
de la douane, où on lui a demandé : «D’où
viens-tu? Qu’apportes-tu avec toi? Présente
ton passeport.» L’amour n’a pas compris
ce qu’on lui demandait; il a posé l’arc sur
la table, et avec lui les flèches.
Tout a été confisqué: on ne veut pas d’agressions
dans cette ville; les armes blanches sont interdites. Et
l’amour, sans passeport, est resté sur le quai,
entre les poubelles et les vagabonds
à la recherche de nourriture.
Et à la nuit tombée, quand la ville
s’endort, tout le monde se demande
quand l’amour viendra.
La création du mythe
Les mythes se conservent si on les place
dans un pot de glaise, sans eau, juste avec beaucoup
d’herbes, de préférence aromatiques, et quelques
feuilles de laurier. Ensuite, on couvre le goulot
d’un tissu épais et on l’attache avec une corde,
avant de prendre le pot et de l’emporter
à la cave, où il doit rester enfermé quelques
années, ou mieux, quelques siècles,
avant de retourner l’ouvrir. Il se peut que les agnostiques
voient ici une contradiction: si le pot ne peut être
ouvert que d’ici quelques années, ou mieux, quelques siècles, qui
pourra témoigner que le mythe s’est conservé? Les infidèles
ont toujours des arguments pour contredire l’inventeur
des mythes; et ce que celui-ci peut répondre c’est que, bien qu’il
soit enfermé et caché, le mythe n’a pas besoin d’être
ouvert pour qu’on le vérifie, tout comme le cœur
des amants n’a pas besoin d’être arraché de la poitrine pour
que, l’un et l’autre, sachent que l’amour existe
et bat dans leurs corps. En conclusion, il suffit donc
que le pot contienne le mythe pour reconnaître
sa vérité; et, tout au plus, nous pouvons nous approcher
du tissu qui cache le récipient et respirer son arôme,
divin comme le parfum de l’amour et sacré
comme le sentiment qui l’accompagne.
Traduction Yves Humann et Béatrice Bonneville (avec l’aimable autorisation de l’auteur)
http://kapitalis.com/tunisie/2019/02/17/le-poeme-du-dimanche-poemes-choisis-de-fernando-pessoa/.
Le poème du dimanche: ‘‘Lorsque viendra le printemps’’ de Fernando Pessoa
Le poème du dimanche : Poème à bouche fermée’’ et autres poèmes de José Saramago
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