A plus d’un titre, pour nous autres Tunisiens, ce qui se passe en France nous intéresse au plus haut point. La tournure que les développements les plus divers y prennent nous fait peur. Il n’y a plus un seul aspect, dans l’Hexagone, qui ne fait craindre que ce pays est mal parti et que la vie de nos compatriotes, de celle de nos frères nord-africains et autres amis du continent noir y sera de plus en plus intenable. Marine Le Pen et Eric Zemmour se sont chargés de cette sale besogne.
Par Moncef Dhambri *
Samedi 5 février 2022, dans le cadre de leurs campagnes pour la présidentielle française de cette année (les 10 et 24 avril 2022), les deux dirigeants de l’extrême droite française –le Rassemblement national et Reconquête !, respectivement– ont organisé deux meetings populaires, la première à Reims et le second à Lille, à 200 km l’un de l’autre et à deux heures d’intervalle.
Immigration, le plat principal
Pendant une bonne partie de leurs harangues, l’un et l’autre ont mis en charpie la communauté immigrée et lui ont fait porter la responsabilité de tous les maux dont la France souffre. Sur le total des trois heures de leurs deux discours, plus de 40% –sans compter les allusions, insinuations et autres demi-mots– ont été consacrés à la question migratoire –pour eux, bien évidemment, il s’agit du «problème de l’immigration», de la «crise migratoire»… Il ne pouvait en être autrement : plus qu’à aucune autre élection présidentielle française, cette thématique de l’immigration semble s’être imposée comme le plat principal qui sera servi aux électeurs français. Aucun candidat ne pourra y échapper : tous vont devoir s’y atteler ; tous devront consacrer à ce dossier un bon chapitre de leurs programmes; tous se trouveront dans l’obligation d’y mettre leurs grains de sel; tous finiront par succomber à la tentation raciste –car, n’ayons pas peur d’appeler les choses par leur nom, c’est bien de racisme qu’il s’agit.
Et, sans le savoir peut-être, tous les candidats à la présidentielle française d’avril prochain apporteront de l’eau au moulin de l’islamisme, du communautarisme et du séparatisme qui menaceraient les équilibres et la stabilité de la société française.
Les médias français répètent sans cesse que l’immigration inquiète les Français. Il ne se passe pas un jour où la une des journaux, les couvertures des magazines ou les titres et débats des chaînes d’information en continu ne relaient l’idée selon laquelle l’immigration a transformé la France et qu’elle l’a envahie. A longueur d’articles et d’analyses, les spécialistes expliquent que le pays de Molière, Corneille, Voltaire, Balzac, Flaubert, Chateaubriand, Baudelaire, Stendhal, Zola, Hugo –je n’en finirai pas !– est aujourd’hui méconnaissable, défiguré.
«On va tous mourir !»
Le discours xénophobe des Le Pen, Zemmour et autres monomaniaques semble avoir pris, puisque les 2/3, sinon plus, des Français jugent qu’il y a trop d’étrangers en France. Cela se traduit en termes d’intentions de vote pour les deux candidats d’extrême-droite par un substantiel 30% additionné –allant jusqu’à 35%. Ainsi, il suffirait à que Marine Le Pen et Eric Zemmour s’entendent et que l’un deux cède sa place dans la course du 10 avril 2022 pour qu’un candidat raciste se qualifie pour le second tour… et, pourquoi pas, qu’il accède au Palais de l’Elysée.
Ce jour-là, le «on va tous mourir !» de Jamel Debbouze aura lieu.
Marine Le Pen ou Eric Zemmour, et peut-être même les deux ensemble, feront le ménage dans ce qu’ils appellent «les zones de non-droit», qu’ils rendront «la France aux Français», qu’ils déclareront que «les Français seront maîtres chez eux», qu’ils décideront «qui peut rester en France et qui doit partir»… bref, il n’y aurait plus aucune crainte à avoir du «grand remplacement»(1).
Eric Zemmour a pensé à tout puisqu’il se propose, face à ce danger démographique, de verser 10.000 euros pour chaque nouvelle naissance dans une famille de «la France rurale».
Les solutions racistes des Le Pen et Zemmour ne se comptent plus puisqu’elles touchent à tout : la sécurité, l’emploi, le pouvoir d’achat, le logement, le système de santé, l’éducation, la culture… tout !
Et tout, bien évidemment, passe par le remède anti-migratoire, par l’immigration zéro.
Tout cela, bien sûr aussi, donnera raison à l’islamisme et au terrorisme… Et, ce jour-là, tout le monde y perdra : la France, la majorité des Français, l’écrasante majorité des immigrés et les amis méridionaux de la France.
Allez raconter cela à un jeune Tunisien qui, en 1970, est parti en France avec 50 dinars en poche, a passé 10 ans de sa vie à Paris, fait de petits boulots, étudié et obtenu un diplôme… puis il est rentré au pays avec de beaux souvenirs plein les valises et plein la tête.
Allez raconter à ce Tunisien-là, aujourd’hui septuagénaire, que la France qu’il a connue n’existe plus ! Et que c’est lui la cause…
* Universitaire à la retraite et journaliste.
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Note :
(1) Le grand remplacement est une théorie du complot d’extrême-droite introduite en 2010 par l’écrivain français Renaud Camus et qui, en reposant sur des principes xénophobes et racistes, affirme qu’il existerait en France un processus de substitution de la population française et européenne par une population non-européenne, originaire en premier lieu du Maghreb et d’Afrique subsaharienne (Wikipédia).
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