La Tunisie, qui ne cesse d’afficher son intérêt pour la fintech en tant qu’instrument de modernisation de son système financier, tarde pourtant à se doter des moyens réglementaires et techniques lui permettant d’adopter avec le moins de risque possible certaines pratiques financières innovantes, comme la crypto-monnaie, qui pourrait pourtant constituer un important vecteur de progrès pour son économie.
Par Amine Ben Gamra *
La guerre en Ukraine et la hausse de l’inflation éloignent les investisseurs du marché boursier et attirent l’attention sur d’autres types d’actifs, et principalement vers la crypto-monnaie, un système de paiement numérique qui ne dépend pas des banques pour la vérification des transactions.
Il s’agit d’un système peer-to-peer qui permet à n’importe qui, partout où il se trouve, d’envoyer et de recevoir des paiements. Au lieu de l’argent physique transporté et échangé dans le monde réel, les paiements en crypto-monnaie existent uniquement sous forme d’entrées numériques dans une base de données en ligne décrivant des transactions spécifiques. Le concept de crypto est construit sur le principe de transparence et de traçabilité, et constitue un bon système pour le suivi des paiements, permettant de réduire les intermédiaires et, par conséquent, de gagner en délais et en frais.
La crypto-monnaie s’est accrue de 280% entre 2020 et 2021
Au niveau mondial, l’adoption de la crypto-monnaie a augmenté de 190% entre 2018 et 2020, et il a continué de croître de 280% entre 2020 et 2021, malgré la crise économique induite par la pandémie de Covid-19.
En Tunisie, les cryptomonnaies font l’objet d’une répression alors qu’il n’existe pas de réglementation concrète et claire à leur propos. Pire encore, certaines personnes ont été emprisonnées pour avoir utilisé cette monnaie numérique. Ce qui met en évidence l’absence ou les insuffisances en matière de réglementation des actifs numériques dans notre pays qui se dit pourtant favorable aux évolutions technologiques.
En plusieurs occasions, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane El-Abassi, a fait part de sa disposition à étudier le lancement d’une CBDC tunisienne (Central Bank Digital Currency ou monnaie numérique de la banque centrale). Plus encore, il a confirmé que la BCT a déjà fait son choix et qu’elle se positionne comme facilitateur auprès de l’écosystème tunisien de l’innovation fintech. La mère des banques en Tunisie s’est ainsi dotée des mécanismes nécessaires, à l’instar du Comité Fintech, de la Sandbox réglementaire, du BCT-Lab et du site Web BCT-Fintech…
Les autorités financières maintiennent le flou total
Mais malgré ces efforts, la Tunisie maintient encore, aujourd’hui, le flou total concernant les cryptomonnaies et il est difficile de savoir si notre pays, avec la législation des changes obsolète qui est la sienne, est prêt à se lancer dans ce mouvement avant-gardiste. Le gouvernement et les institutions financières ne savent pas encore sur quel pied danser, face à des concepts et des pratiques qui bousculent leurs perceptions classiques.
Il s’agit là, on l’a compris, d’une technologie transformatrice qui peut révolutionner le monde de la finance. Il y a beaucoup de matière à innovation, mais qui n’est pas dénuée de risques, ce qui implique donc la nécessité de mettre en place des garde-fou réglementaires et des systèmes de régulation, et c’est le rôle d’une banque centrale d’intervenir dans ce domaine, notamment dans le contexte problématique qui est le nôtre. Et avec la vitesse à laquelle évolue le secteur financier à travers le monde, il est peut-être temps pour le gouvernement tunisien de bouger pour changer la donne et mettre le pays à l’heure des grandes évolutions technologiques. D’autant que l’adoption de la cryptomonnaie pourrait aider à améliorer le positionnement de la Tunisie dans le cadre de son engagement plus large à moderniser la réglementation des marchés financiers et les investissements transfrontaliers.
* Expert comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptables de Tunisie.
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