Tunisie : Kaïs Saïed jette l’argent par la fenêtre  

La Tunisie d’après la révolution de 2011 prouve que la démocratie peut se transformer en une catastrophe nationale pour un peuple qui s’aveugle lui-même.

Par Ridha Kefi

Alors que la Tunisie est au bord d’une banqueroute annoncée par tous les experts financiers et qu’elle continue de mendier aux portes des bailleurs de fonds internationaux pour se faire accorder de nouveaux prêts, le président de la république Kaïs Saïed s’entête à organiser un scrutin inutile que tous les partis boycottent et dont il est le seul à saisir l’urgence.

Les législatives anticipées du 17 décembre prochain, dont M. Saïed attend qu’elles mettent les bases de son projet politique personnel, vont coûter aux contribuables, selon les estimations de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), 40 millions de dinars, si elles sont organisées en un seul tour et 70 millions de dinars si un second tour s’avérerait nécessaire.

Ce sera trop chèrement payé pour une consultation dont on s’attend qu’elle sera boycottée par près de 80% des citoyens inscrits sur les listes électorales.

Une coûteuse «nouvelle république»

Ces montants sont à ajouter aux 40 millions de dinars déjà déboursés pour l’organisation du référendum sur la nouvelle constitution, le 25 juillet dernier, boycotté par 75% des électeurs inscrits, et de la soi-disant consultation nationale sur les réformes politiques, organisée le 20 mars dernier, et à laquelle ont pris part à peine 500 000 Tunisiens sur une population globale de près de 12,5 millions.

Gâchis, vous avez dit gâchis ? Mais ce n’est pas fini, et pour cause… Il faut aussi prévoir d’autres dépenses inutiles pour l’élection (quand ? comment ? et pour faire quoi ? on ne le sait pas encore) des membres de la future Assemblée des régions et des districts à laquelle M. Saïed tient beaucoup pour y placer sa «clientèle politique» dans les régions et qui est censée compléter l’architecture du système institutionnel qu’il s’entête à mettre en place en dépit d’une forte opposition de la classe politique dans son ensemble.

Une architecture aussi inutile (au vu des prérogatives très limitées accordées par la nouvelle constitution aux chambres parlementaires) que peu viable (eu égard les conflits prévisibles des prérogatives qui ne tarderont pas à éclater), et dont beaucoup d’analystes prévoient, à juste titre, qu’elle tombera comme un château de cartes dès que M. Saïed aura quitté le palais de Carthage où il ne saura en aucun cas s’éterniser.

Un peuple qui s’aveugle lui-même

Tout cela pour dire qu’au moment où les priorités des Tunisiens sont les pénuries des produits de première nécessité, l’inflation galopante, la hausse des prix, la baisse du pouvoir d’achat, la détérioration des services publics (éducation, santé, transport, environnement, etc.), le président de la république s’amuse à dilapider le temps et l’argent à tirer des plans sur la comète et à échafauder des scénarios pour la mise en place du système politique idéal qui va, selon le délire arrogant et stupide de ses thuriféraires, changer le visage du monde et libérer l’humanité tout entière des dérives de la démocratie représentative à l’ancienne. Pas moins !

Un ancien professeur de droit constitutionnel a le droit d’être très ambitieux et de caresser ce genre de rêves éveillé, mais pas à imposer ses lubies à des compatriotes qui l’ont élu pour une toute autre chose.

Il y a aujourd’hui, en Tunisie, comme une méprise ou un malentendu, qui va très vite éclater à la figure de toute une nation pour s’être laissé berner elle-même par ses propres illusions.

L’heure de vérité approche et le réveil sera dur, douloureux et surtout coûteux pour un pays sans grandes ressources, dont le taux d’endettement dépasse désormais 100% du PIB et qui continue de tendre son escarcelle à la charité internationale.

C’est la preuve, s’il en est encore besoin, que la démocratie peut se transformer en une catastrophe nationale pour un peuple qui s’aveugle lui-même. La Tunisie ne cesse d’en faire l’expérience à ses dépens depuis la «révolution» de 2011.

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