Obtenir un crédit du Fonds monétaire international (FMI) n’est pas un exploit, mais un aveu d’échec collectif. S’en féliciter, comme le font certains de nos responsables, c’est ajouter le ridicule à l’incompétence.
Par Mounir Chebil *
La Tunisie a décidé «en toute souveraineté» de frapper à la porte du FMI. Aucune partie étrangère ne s’est ingérée dans ses affaires intérieures pour l’obliger à le faire.
Depuis plus d’un an, les hauts responsables de l’Etat sont dépêchés à Washington par le seigneur de Carthage pour hanter «très dignement» les couloirs de l’instance financière et attendre l’aumône. Ils ont demandé 4 milliards de dollars pour boucler le budget de l’Etat pour 2022. La commission technique du FMI ne leur a finalement accordé que 1,9 milliard de dollars à décaisser en plusieurs tranches selon l’état d’avancement des réformes structurelles convenues. Et encore, la décision finale du déblocage du crédit est tributaire du conseil d’administration de la vénérable institution.
Un pays très mal gouverné comme le nôtre
Comme au glorieux temps de Ben Ali, lorsque l’ATCE était chargée de redorer l’image de la Tunisie à l’étranger, il ne reste à notre pays que d’envoyer des caisses de deglet nour et de d’huile d’olive extra vierge aux administrateurs du FMI pour les convaincre de donner leur accord final.
Retenons donc notre souffle avant de connaître, d’ici fin décembre, la décision du bailleur de fonds de dernier recours, tout en priant Dieu pour qu’il n’y ait pas d’ajournement. Car, en cas de nouveau report, on aurait beaucoup de mal à boucler le budget de l’Etat pour 2022 et pour préparer celui de 2023, une année qui, dit-on, sera terriblement dure pour les pays très mal gouvernés comme le nôtre.
En principe, le budget de l’année 2022 a été établi en comptabilisant l’hypothétique crédit du FMI ou du moins sa première tranche qui aurait dû être débloquée avant la fin du mois de mars de cette année (on était bigrement ambitieux !).
Le crédit n’a finalement pas été accordé, le déblocage espéré n’a pas eu lieu et aucune autre ressource n’est venue combler le trou dans le budget qu’à laissé la fermeture de cette vanne. Comment a-t-on fait pour tenir jusqu’à aujourd’hui ? Mystère et boule de gomme !
Quand on vous dit qu’on ne nous dit pas tout et qu’on nous cache beaucoup de choses, nous, pauvres électeurs floués qui devrons, de toute façon et en dernière instance, payer la facture.
Par ailleurs, le dérèglement des marchés mondiaux a engendré une hausse vertigineuse du coût de nos importations, alors que la baisse de la valeur d’échange de notre monnaie nationale (en passe de devenir une monnaie de singe) a dû logiquement creuser un gouffre dans le budget de l’Etat pour cette même année 2022. A combien s’élève-t-il ? Il ne faut surtout pas attendre que le gouvernement de la «haoukama errachida» (bonne gouvernance), de la transparence et de l’intégrité daigne enfin nous le dire.
Le gouvernement laisse voler les prix
Mais puisque le gouvernement refuse de parler de ses bourdes, faisons-le pour lui. En 2022, l’Etat n’a pas pu dû acheter beaucoup de lits d’hôpitaux ni de bancs d’écoles. Quant aux projets d’infrastructures, n’en parlons pas. Ceux en cours d’achèvement datent tous du temps de la dictature et leurs coûts ont été doublés ou triplés depuis 2011.
Par ailleurs, beaucoup de créanciers locaux doivent encore attendre pour être payés par l’Etat, le plus mauvais payeur du pays. Mais ce n’est pas grave, la Steg, entre autres entreprises publiques en quasi-faillite, aura à saler nos factures de consommation d’électricité et de gaz pour ne pas sombrer.
Pour l’instant, faute de construire des avions qui volent, le gouvernement laisse voler les prix à la vitesse de la lumière. Quant à la loi des finances pour l’année 2023, elle est dans la chambre noire d’où sont sorties la fameuse constitution du 25-Juillet et la loi électorale du 15-Septembre.
Cela rassure beaucoup d’idiots, qui attendent leur part du gâteau que leur miroite le nouvel homme fort du pays, mais pas nous, qui voyons le précipice sous nos pieds.
En effet, tous les indicateurs laissent prévoir que 2023 sera plus mauvaise que 2022, les recettes de l’Etat seront comme souvent très inférieures à ses faramineuses dépenses, et les pénuries récurrentes seront de moins en moins supportables. Aussi la question qui se pose aujourd’hui avec insistance est-elle de savoir si nous sommes capables de nous contenter bientôt d’une miche de pain.
Pourtant, beaucoup de nos compatriotes baignent dans l’euphorie et l’optimisme… révolutionnaires. L’accord du FMI nous permettra de faire la quête devant les portes des églises d’Occident et celles des mosquées de la nation islamique à laquelle nous appartenons par la grâce de l’article cinq de la nouvelle constitution.
Dans le cercle infernal de l’endettement
Cependant, les Occidentaux, qui sombrent eux-mêmes dans la crise, n’ont de tête aujourd’hui que pour le sauvetage de l’Ukraine, et même avec nos frères musulmans, nous devons revoir nos ambitions à la baisse, car eux aussi n’ont de tête pour leurs «frères» ukrainiens. Reste l’Union du Maghreb arabe, dont la Tunisie et membre, mais que peut-on sérieusement en tirer pour boucler nos fins de mois?
A supposer que la Tunisie obtienne tous les crédits qu’elle espère, comment va-t-elle les rembourser, s’il n’y a pas d’investissement conséquent, de relance des exportations et un taux de croissance dépassant les 5% sur plusieurs années ? Si le pays continue avec des gouvernements qui cherchent à parer au plus pressé, il restera toujours enfermé dans le cercle infernal de l’endettement sans aucun espoir de relance.
On nous reproche, à chaque fois que nous critiquons le gouvernement, de ne pas proposer de solutions. Or, les solutions, nous en proposons souvent, mais personne au sein de l’exécutif, à commencer par son chef, n’y prête l’oreille.
Nous devons d’abord réduire drastiquement le train de vie de l’Etat, fastidieux, inefficace et couteux. Et ensuite, relancer l’investissement public et privé par des incitations conséquentes, notamment dans les secteurs stratégiques comme l’agriculture et l’énergie. Et, last but not least, réhabiliter la notion de travail et de productivité, en encourageant les plus méritants et en se montrant intransigeant vis-à-vis des bras cassés et des saboteurs, qui vivent aux basques des pauvres contribuables…
Obtenir un crédit du FMI n’est pas un exploit, mais un aveu collectif d’échec. S’en féliciter, comme le font certains de nos responsables, c’est ajouter le ridicule à l’incompétence.
* Haut fonctionnaire à la retraite.
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