Tunisie : une bipolarité d’Etat ?

Un syndrome de bipolarité d’Etat ? Et pour cause, d’un côté la déprime économique est à son comble : inflation, pénuries, paupérisation, déficit budgétaire, dette insoutenable, dévaluation du dinar. De l’autre l’euphorie: on jubile, on gesticule et on s’excite par des élections législatives pourtant atypiques, étant sourdes, muettes et aveugles aux enjeux brûlants, avec des candidats sans programme économique, sans message, sans mobilisation, sans débats et sans vision stratégique à faire valoir.

Par Moktar Lamari *

Entre déni de l’économique et défiance du politique, la Tunisie est ballottée par ses élites, toujours vers plus d’incertitudes et de précarité. «Meskina Tounes» (pauvre Tunisie)…

Des législatives pour quoi faire ?

Les élections législatives sont prévues dans quatre semaines. Et on ne connaît pas encore les programmes des candidats et encore moins leurs affiliations.

Pour le président Kaïs Saïed, l’important c’est le vote. Pour lui, ce qui compte c’est la rhétorique et les apparats de démocratie, nécessaires pour rassurer l’Occident, pour ameuter la foule (son «peuple qui veut») et resserrer ultimement son emprise sur tous les pouvoirs…

Pour les observateurs internationaux, ces élections législatives doivent au moins servir à débattre pour arbitrer entre les urgences du pays: réformes, privatisation des sociétés d’Etat, réduire la taille de l’Etat, réhabiliter le travail, booster l’investissement, etc.

Elles doivent au moins mobiliser les parties-prenantes autour d’un agenda minimal commun à adopter pour redémarrer les moteurs de la relance économique. Une occasion en or pour redonner de l’espoir à une population totalement déçue par ses élites et par l’échec de la transition démocratique.

En l’état, et comme conçue par Saïed, ces élections constituent un coup de pied dans l’eau! Des législatives totalement inefficaces, puisque les électeurs ne peuvent pas voter en connaissance de cause. Les candidats souvent inconnus et n’ont pas de programmes à présenter et à faire valoir. Ils ne sauront pas à quoi vont elles servir ces législatives, pourquoi faire, pour quoi changer et pour quoi solutionner. Pourtant, les enjeux et les urgences ne manquent pas!

Une autre occasion manquée

Ces élections coûtent chères, extrêmement chères aux payeurs de taxes et à la Tunisie!

Et sans agendas politiques et débats sur les enjeux de l’heure, elles seront une autre occasion manquée. Elles ne changeront rien aux fondamentaux des choix publiques et aux réformes que doit mener la Tunisie. Comme c’est parti, ces législatives enfonceront davantage l’économie tunisienne, en ajoutant toujours plus d’incertitudes et de chaos.

Ces élections sont déjà qualifiées de fantoches! Par tous ces partis qui ont décidé de les bouder, par tous ces citoyens qui se jettent à la mer pour rejoindre clandestinement l’Europe. Pour tous ces chômeurs de longue durée et surtout pour ceux qui ont peur d’avoir faim, en ces temps de pénuries et de disettes, dans les régions arides de la Tunisie profonde.

Omniprésentes dans la misère de la vie de tous les jours, les questions économiques, monétaires et budgétaires sont évacuées de l’agenda politique par Kaïs Saïed, qui pense pouvoir régler les problèmes économiques par décret, en se dopant par la dette, en critiquant l’Occident, mais en se jetant dans les bras du FMI.

Un discours populiste et a-économique

Pire encore, les élites politiques au sommet de l’Etat, comme beaucoup de citoyens et de journalistes improvisés, véhiculent une dangereuse incompréhension des liens organiques liant l’économique au politique.

Ils ne réalisent pas l’importance des connexions et croix de transmission liant d’un côté les bienfaits de la compétition au sein du politique (élections au mérite sur la base de programmes) et de l’autre le rendement bénéfique de la concurrence du marché, au sein de la sphère économique (innovation et création de la richesse).

A les écouter, tous ou presque parlent du droit, des droits, tous multiplient les revendications salariales, s’exprimant sur tout, sauf sur leur devoir de citoyen, sur leurs engagements, et sur les pré-requis économiques, pour générer plus de prospérité, plus de pouvoir d’achat et de meilleures productivités au travail.

Le système mis en place par Kaïs Saïed tourne dans à vide et cultive les illusions par un discours populiste a-économique. Un système qui carbure à un juridisme primaire axé sur l’écriture et la réécriture des textes constitutionnels dans une démarche coupée des urgences et priorités quotidiennes du citoyen.

Comme il fonctionne, ce système ne pourra créer de la prospérité économique et le progrès social. Il est de facto condamné à se consumer et à s’éroder. L’arbre se juge à ses fruits. Mais les fruits, il n’y en a pas pour le moment.

La Tunisie ne mérite pas cela…

* Economiste universitaire au Canada.

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