Elle est toute souriante, son calvaire vient de prendre fin. Son sac de sport en bandoulière, la basketteuse afro-américaine Brittney Griner rentre enfin au bercail après plus de neuf mois passés dans les prisons de la Russie. Les pires moments de sa vie. Elle a rebondi d’un camp à un autre pour faire perdre sa trace et lui faire goûter les sévices des goulags.
Par Mohsen Redissi *
Heureusement pour la basketteuse, c’est une battante. Moins d’une semaine après son retour, elle a repris le chemin des salles et s’est mise à s’entraîner. Des échéances sportives l’attendent, elle se concentre sur son jeu.
Bouc émissaire
Double médaillée d’or olympique et figure de proue de la Women’s National Basketball Association, Brittney Griner a été arrêtée à l’aéroport de Moscou pour trafic de drogues et condamnée à neuf ans de prison. Elle était en possession de cartouches de cigarette électronique dans ses bagages, une vapoteuse contenant de l’huile de cannabis. Souffrant de douleurs chroniques, son médecin traitant lui a prescrit le cannabis pour usage thérapeutique.
La Russie, même meurtrie par une guerre qui s’éternise, a su faire pression sur une Amérique fébrile. L’administration démocrate a besoin d’un signal fort sur le plan national américain et sur la scène internationale. Poutine n’a laissé aucune alternative au président américain. Aucun plan d’attaque. Il détenait comme prises de guerre et boucliers humains deux ressortissants américains, la basketteuse Griner et Paul Whelan, ancien marine détenu depuis la fin de 2018 et condamné pour espionnage. Leur sort était scellé. Pas de quartier pour Poutine. Deux superpuissances versées dans la guerre d’usure.
Négocier en temps de guerre
Brittney Griner est une proie de choix et un otage qui tombe à pic pour Moscou. Elle offre au Kremlin une occasion unique pour renouer des pourparlers avec l’administration Biden. Les Russes ont posé dès le départ leurs conditions : les négociations ne touchent que la basketteuse. L’ex-marine Whelan est exclu de l’échange. Les chefs d’accusation accumulés contre lui sont beaucoup plus graves. Il a été arrêté en possession d’informations sensibles sur la sécurité nationale russe. Sa tête vaut son pesant d’or. Les Russes le laissent sur le banc des remplaçants, il aura son heure de gloire : d’autres transferts suivront comme dans le passé. Ce troc, prisonnier contre prisonnier, renvoie au second plan, le temps des négociations, la détérioration des relations entre les deux puissances exacerbées par la guerre en Ukraine. Les déclarations incendiaires n’étaient qu’un jeu de façades, un écran de fumée. Les pourparlers se tenaient loin du vacarme et des obus des canons.
Slam Dunk
Le Kremlin marque son premier panier. En échange de la basketteuse, il réclame la libération d’un trafiquant d’armes notoire surnommé dans le milieu fermé de la contrebande de l’armement le «marchand de mort».
Viktor Bout, ressortissant russe arrêté en Thaïlande en 2008, jugé et condamné à une peine de 25 ans de prison aux Etats-Unis, est proposé pour l’échange. Il est en fin de peine. Les Américains n’ont vu que du feu. L’échange ne fait pas l’unanimité au sein de l’opinion publique américaine pour plusieurs raisons. Pour beaucoup c’est un échange inégal, injuste et amoral. Une basketteuse de renom, double médaillée d’or, contre un vulgaire trafiquant d’armes. La Russie a voulu ainsi, elle a eu gain de cause en fin de compte.
Brittney Griner n’est pas une sainte non plus. Certains lui reprochent son attitude agressive envers son pays. Elle pose le genou à terre au son de l’hymne national américain, signe fort de protestation envers les discriminations raciales que subissent les Afro-américains. Elle risque de se faire renvoyer chez les Russes sans garantie de retour si elle refait son geste. Telle est la menace qui pèse sur sa tête.
Le président et son administration ont joué dans leur esprit un autre match sans filet de secours. Biden marque trois points en rapatriant la basketteuse sans payer de rançon tout en : reprenant la place qui lui est due, le chef suprême; garantissant le vote des Afro-américains dans la prochaine échéance électorale; s’appropriant les positions et les revendications des LGBT. Brittney Griner adhère à ce mouvement et est en même temps un modèle pour son engagement à défendre les causes des Afro-américains et les LGBT.
Le port des espions
Les négociations ont démarré séance tenante. L’artillerie lourde américaine s’est mise en branle-bas de combat. Le Département d’État, la CIA, l’ambassade américaine à Moscou et la société civile ont tous entamé d’intenses négociations secrètes sans relâche avec les Russes. Pas de temps mort. La situation est alarmante, elle peut dégénérer et devenir explosive car le spectre de la guerre en Ukraine change chaque jour.
Les deux pays ont choisi pour l’échange de prisonniers l’aéroport d’Abou Dhabi, comme aux temps de la guerre froide. Le président américain Joe Biden a tenu à remercier les Emirats arabes unis d’avoir servi de base arrière. L’Émir est resté neutre dans le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine : les oligarques russes ont beaucoup investi dans les affaires du pays. Il est plus judicieux de chercher à ne pas froisser leur sympathie et leur soutien par un geste irréfléchi.
D’après la James W. Foley Legacy Foundation, il y a environ 123 Américains retenus contre leur gré dans le monde, pris en otage dans le langage courant. Les Etats-Unis cherchent tant bien que mal à les libérer. Les pays occidentaux adhèrent à des conventions et poussent les pays exposés et vulnérables à ne pas traiter avec les ravisseurs, le plus souvent des bandes de terroristes armés dont l’activité principale est la prise d’otages et la demande de rançons. Malheureusement, ils sont prompts à rompre leur engagement. Brittney Griner contre Viktor Bout est un flagrant délit de promesses non tenues.
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