Nous reproduisons ci-dessous le texte de la lettre, dont Kapitalis a eu copie, de la société italienne Minerali Industriali Tunisia au président de la république Kaïs Saïed pour lui expliquer les raisons qui l’ont poussée à décider la fermeture de ses deux usines à Sousse et à Oueslatia (Kairouan) et son départ définitif la Tunisie.
A l’attention de Monsieur le Président de la République tunisienne
Objet : Article 26 du Décret-loi n° 2022-79 du 23 Décembre 2022 portant loi de finances pour l’année 2023 (« Décret -loi »)
Monsieur le Président,
Minerali Industriali Tunisia S.A. présente en Tunisie depuis l’année 2001 et opérant dans le secteur de l’extraction et de la transformation du sable, ainsi que ses actionnaires, ont été complètement surpris par la teneur de l’article 26 du Décret-loi, qui prévoit l’application d’une taxe de 100 dinars tunisiens par tonne de sable exporté à compter du 01 Janvier 2023.
Tout en reconnaissant le droit souverain de la Tunisie de prendre toutes les mesures qu’elle juge opportunes pour la sauvegarde de son économie, nous ne pouvons, pour le moment, compte tenu de la nature et la qualité de nos rapports avec la Tunisie et de ceux du pays de nos investisseurs (Italie) avec votre pays, qu’attirer votre attention sur l’aberration de la mesure prise et des résultats totalement contraires aux effets escomptés auxquels elle pourrait aboutir.
Selon la note explicative du Décret-loi celle-ci vise à taxer l’exportation de produits minéraux, «considérés comme un trésor national (…)» et «exportés à des prix très bas malgré leur qualité supérieure, et leur teneur en silice très élevée».
L’affirmation selon laquelle les sociétés minières exploitent et épuisent les ressources tunisiennes en vendant un «trésor national» à un «bas prix» est profondément incorrecte et imprégnée d’un idéologisme primaire altérant fondamentalement l’objectivité de la mesure prise.
Nous estimons, en effet, que cette taxe ne valorise pas les produits minéraux «locaux», comme indiqué dans la note explicative de l’article 26, mais 1- porte atteinte à toutes les entreprises opérant dans le secteur en question et 2- cause un préjudice irréparable à l’image et aux finances du gouvernement tunisien.
1. Dommages aux entreprises opérant dans le secteur du sable :
Il nous semble important de vous signaler que compte tenu de la faiblesse des industries tunisiennes utilisant le sable comme matière première (ex : verrerie), la plus grande partie du sable extrait et traité industriellement en Tunisie est destinée à l’exportation. Cette réalité ne risque pas de changer dans un avenir proche, compte tenu du caractère énergivore de ces industries et du déficit énergétique actuel de la Tunisie.
Porter atteinte à ce secteur, en mettant le sable tunisien en dehors des prix pratiqués par le marché international du sable, risquerait de faire perdre de manière irréversible au sable tunisien sa position privilégiée actuelle sur ce marché. Le préjudice subi par la Tunisie pour sa production de phosphate est que plus qu’édifiant à ce propos.
Le sable de silice tunisien est vendu en Europe aux prix du marché. Par rapport à un prix FOB moyen de 20-25 € par tonne pour les sables d’autres pays européens, avec des caractéristiques de qualité légèrement meilleures, le sable tunisien a réussi à se tailler une niche de marché importante précisément parce qu’il est offert dans une gamme de prix FOB de 15 € à 20 € par tonne, tout en maintenant un niveau de qualité acceptable.
L’application d’une taxe supplémentaire de 30 € par tonne, la portant à un prix de 45-50 €, aboutirait à la NON-compétitivité du sable tunisien sur let e marché international et par là même à son invendabilité sur ce marché. Les sables portugais, égyptiens, de la République tchèque, pour n’en citer que quelques-uns, deviendraient de loin l’alternative économiquement la plus avantageuse au sable tunisien, qui sortirait du marché étranger comme mis en évidence dans le graphique ci-dessous.
Cette réalité commerciale entraînerait inéluctablement la faillite immédiate de toutes les entreprises tunisiennes opérant dans le secteur de l’extraction des sables siliceux, y compris Minerali Industriali Tunisia S.A. (MIT). Il convient de rappeler que l’ensemble du secteur minier en Tunisie emploie environ 7 400 employés directs et indirects.
Notre entreprise emploie à elle seule 80 employés directs et plus de 200 employés indirects, qui seront certainement impactés par la fermeture de l’entreprise. Cet impact négatif serait d’autant plus grand si on considère que les zones d’extraction et de traitement du sable sont des zones peu urbanisées n’offrant que très peu d’opportunités d’emploi.
La MIT, sans prendre en considération l’investissement en équipement moderne qu’elle a effectué ainsi que la formation continue de ses salariés aux techniques modernes d’extraction et de traitement, a versé à l’État tunisien, rien que durant les onze premiers mois de 2022, 715 000 DT d’impôts, plus 547 616 DT de cotisations sociales ainsi que 5 193 000 DT de droits douaniers. La MIT a également versé des salaires de 2 480 000 DT.
Il est enfin important de noter que tous ces paiements ont été effectués à partir de recettes ou de financement des actionnaires effectués en devises étrangères convertibles.
2. Dommages irréparables à l’image et aux finances du gouvernement tunisien :
La Tunisie, grâce à sa proximité géographique, a toujours été un partenaire commercial historique pour tous les pays européens.
L’Italie, à titre d’exemple, est le premier partenaire commercial de la Tunisie, comme en témoignent les échanges bilatéraux du premier semestre 2022 (source ISTAT). En 2020, les échanges bilatéraux se sont élevés à environ 4,5 milliards d’euros. Les relations et les échanges commerciaux ont donc toujours été stables, continus, profitables pour les deux pays.
L’application de cette nouvelle taxe exorbitante entraînerait l’effondrement des exportations dans le secteur minier et perturberait considérablement la production des entreprises verrières italiennes et européennes par une rupture subite de leur approvisionnement en matières premières.
Les dommages à l’image de la Tunisie seront énormes: en effet, il est incompréhensible et injustifié pour nous comment un pays comme la Tunisie, partenaire historique et privilégié de l’Europe, établit sans aucun avertissement une taxe si élevée qu’elle rend impossible tout export ainsi que toute vente de sable sur le marché européen, causant ainsi de grands problèmes d’approvisionnement et de production des différentes entreprises européennes ayant intégré le sable tunisien dans leur cycle de production. Ce qui ne manquera pas de porter atteinte à l’image de la Tunisie et à la confiance que ces industriels et leurs fournisseurs ont dans le pays.
Il est peu habituel de voir l’instauration d’une taxe à l’exportation égale à plus de 150% du prix du marché. Il est aussi insolite qu’une taxe pareille ayant une aussi lourde répercussion sur un secteur d’activité en Tunisie et une répercussion incidente sur différentes autres industries utilisant le sable tunisien en Europe soit annoncée quelques jours avant son entrée en vigueur, et de surcroît dans une période traditionnellement festive pour l’Europe (entre Noël et le Nouvel An). Nous pensons que si cette taxe est maintenue dans sa forme et son quantum actuels et sans sa révision radicale, largement médiatisée, la confiance que les investisseurs européens avaient sur la stabilité économique de la Tunisie et sa bonne gouvernance serait largement ébranlée. Cela découragerait les entrepreneurs européens à maintenir leur investissement dans le Pays ou d’y investir.
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