A chaque fois qu’il prend la parole, Kaïs Saïed revient sur la dizaine d’arrestations effectuées depuis samedi dernier parmi les opposants politiques, les hommes d’affaires et les journalistes, pour leur coller à chaque fois une nouvelle accusation, faisant fi d’une règle élémentaire du droit, qui est la présomption d’innocence.
Par Imed Bahri
Recevant hier, vendredi 17 février 2023, au Palais de Carthage, Taoufik Charfeddine, ministre de l’Intérieur, qui était accompagné de hauts responsables de la sécurité, le président de la république a évoqué avec eux l’état d’avancement des enquêtes en cours sur «l’affaire d’association de malfaiteurs pour atteindre à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat», en réitérant son «souci de connaître toute la vérité dans le plein respect de la loi».
Répondant aux avocats des prévenus, qui ont relevé de nombreuses entorses à la loi commises par les autorités sécuritaires et judiciaires dans le traitement de cette affaire, le chef de l’Etat a déclaré : «Toutes les procédures ont été respectées, malgré le fait que certains fouillent dans les procédures afin d’échapper à la reddition des comptes, comme celui qui a prétendu être malade et a simulé la folie pour échapper à la justice», sans que l’on sache exactement de qui et de quoi il parle exactement.
Le silence de la justice
Répondant aux critiques exprimées par des parties intérieures et extérieures suite à l’arrestation du directeur général de la radio Mosaïque, Noureddine Boutar, et d’autres personnalités nationales, le président de la république a affirmé: «La liberté d’expression est garantie et qu’il n’y a absolument aucun rapport entre ces arrestations et la liberté d’expression, mais qu’elles sont plutôt liées au complot, à la corruption et la mainmise sur d’énormes fonds des établissements bancaires qui leur été octroyés en dehors de tout cadre légal, conduisant à la faillite de certains de ces établissements», laissant ainsi penser qu’il évoque l’affaire de la Banque franco-tunisienne (BFT), gangrenée par la corruption depuis le milieu des années 1980 et dont nous n’avons cessé de parler dans ce même journal au cours des dernières années, et plus particulièrement depuis l’accession de M. Saïed au pouvoir en 2019, sans que ce dernier ne bouge le petit doigt pour diligenter une enquête administrative et judiciaire sérieuse ni ne demande des comptes aux bénéficiaires des prêts cramés dont les noms sont connus depuis une quarantaine d’années.
Le président de la république a, par ailleurs, indiqué que «quiconque prétend que la liberté d’expression est menacée soit ne connaît pas la vérité sur les dossiers, soit les ignore pour porter atteinte à son pays et refuse la reddition des comptes que le peuple réclame».
Le problème que le président semble éluder, c’est que cette «vérité» dont il parle tarde à être révélée à l’opinion et ce ne sont pas les accusations qu’il lance à tout bout de champ qui vont tenir lieu de «vérité», alors que les autorités judiciaires restent étrangement silencieuses et que les avocats des prévenus, ayant eu accès aux dossiers, affirment que ceux-ci sont vides.
Une justice populaire
Au cours de la même rencontre, Kaïs Saïed a rajouté une couche à ses accusations antérieures, en établissant un lien entre les spéculateurs qui provoquent des pénuries et des hausses de prix des produits de première nécessité et «ces conspirateurs contre la sécurité de l’État et de la société», ajoutant : «Même si les crimes diffèrent, l’objectif est le même, qui est de frapper la paix civile et de porter atteinte à la sécurité de l’État.»
Pour conclure, le président de la république a rendu hommage au rôle historique joué par les équipes d’enquêteurs, en soulignant qu’«il n’y a plus d’excuse aujourd’hui pour qui déçoit l’exigence légitime de justice et de reddition des comptes exprimée par le peuple», ne laissant ainsi aux juges qu’une seule alternative : conformer leurs jugements au verdict déjà prononcé par la justice populaire que Kaïs Saïed croit incarner !
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