Au moment où l’Europe se tourne vers les énergies renouvelables et le tout-électrique avec en point de mire la neutralité carbone vers l’horizon 2050, l’Arabie saoudite qui tire l’essentiel de ses ressources de l’énergie fossile, ne voudrait pas perdre ce cap. Elle prend les devants et lorgne l’énergie nucléaire. (Illustration : image aérienne du site du réacteur nucléaire de la ville du roi Abdulaziz pour la science et la technologie, en Arabie saoudite. Photographie : Google Earth).
Par Mohsen Redissi *
Dans une contrée au-delà d’interminables dunes de sable, les pétrodollars coulent à flots au rythme des barils qui quittent les ports et les stations de pompage. Des commandes fermes pour les années à venir sont assurées pour le plus grand exportateur d’or noir et principal régulateur de l’offre et de la demande sur le marché mondial. Les caisses de l’Etat croulent déjà sous la baraka du hadj et ses produits dérivés.
Toutes les études concordent à dire que les énergies fossiles vont être délaissées au profit d’autres combustibles moins polluants dans les années à venir. Ce changement s’opère déjà en Europe, zone qui se tourne vers les énergies renouvelables et le tout-électrique avec en point de mire la neutralité carbone vers l’horizon 2050. L’Arabie saoudite ne voudrait pas perdre ce cap en prenant les devants dans la région.
Péninsule atomique
Répondre à ses besoins toujours croissants d’énergie uniquement en hydrocarbures fragiliserait son indépendance énergétique. Le climat du royaume est rude et sec. La soif de l’eau ne peut être étanchée que par les grands travaux de dessalement voraces en énergie. Il faut ajouter à cela la dernière folie de l’Arabie Saoudite. Le pays organise en 2026 les Jeux asiatiques d’hiver. Une ville nouvelle et éternelle, The Line, cité futuriste d’un vaste projet appelé Neom doit sortir du sable brûlant du désert. Elle est déjà visible du ciel, l’atome est le nerf de cette ville ultramoderne qui dépasse l’imaginaire populaire.
Le royaume saoudien regorge d’uranium, minerai détecté dans différents endroits du pays et qu’il compte enrichir pour développer son programme nucléaire civil. Ses responsables veulent diminuer la dépendance aux énergies fossiles et améliorer le mix énergétique à la manière du Maroc. Le combustible nucléaire sera mis sur le marché national comme à l’exportation.
Selon le ministre saoudien de l’Énergie, le royaume compte construire plus d’une quinzaine de réacteurs nucléaires sur deux décennies pour un montant avoisinant les 80 milliards de dollars. Et le ministre d’ajouter que les autorités saoudiennes s’engagent à limiter toutes les activités atomiques à des fins pacifiques. Ryad a déjà commencé à développer deux grands réacteursen toute transparence. Le pays est disposé à s’associer à d’autres partenaires pour développer ce vaste chantier conformément aux obligations internationales.
Le plutonium arabe
Selon les observateurs, Ryad ne cache pas son intention de devenir une puissance nucléaire. Cette ambition est légitime. Laisser le royaume fabriquer l’arme nucléaire est une option stratégique pour concurrencer le voisin persique et calmer ses ardeurs guerrières. Deux puissances nucléaires s’observant en continu. Mais il n’est pas sûr que la communauté internationale laissera faire.
Israël se méfie et n’a aucune confiance dans un pays musulman possédant l’arme nucléaire. Il a fait part de ses réserves aux responsables américains. Laisser Ryad se doter de l’armement nucléaire donnerait des idées noires aux voisins arabes, des belligérants toujours prêts à gommer Israël. Il faudrait plusieurs années avant de produire une bombe atomique, l’Occident n’aura de répit qu’après avoir réduit ses rêves en cendres.
L’équilibre des forces en présence au Moyen-Orient ne doit jamais basculer en faveur des ennemis d’Israël. Sa survie en dépend. Israël seul doit posséder l’arme de dissuasion massive. Israéliens, Américains et leurs alliés stratégiques sont tous d’accord là-dessus.
Pour les experts du monde arabe, le seul moyen d’empêcher l’Arabie Saoudite de se doter de l’arme nucléaire est d’essayer de lui fournir conseils et assistance en l’espionnant de l’intérieur. Experts et agents de l’Agence internationale de l’énergie atomique, AIEA, la secondent dans son entreprise et restent les garde-fous du programme.
Les pays arabes se bousculent devant la porte de l’AIEA, ce qui laisse le monde perplexe. Ils se sont donné le mot, ils veulent se doter de réacteurs nucléaires pour développer une industrie qui reste à la traîne; les coûts élevés des carburants freinent le plein rendement. L’Arabie saoudite et l’Égypte sont en pourparlers avec les deux puissances sur le marché, la Russie et la Chine. La France souffre toujours du syndrome israélien. En venant au secours de l’un de ses ennemis, elle déclencherait la surchauffe de Tel Aviv dans une réaction en chaîne dévastatrice. Dans cette course effrénée à l’atome, gare à toutes ces puissances nucléaires qui gravitent autour. La collision risque d’être fusionnelle.
* Haut fonctionnaire à la retraite.
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