Comment la Tunisie est-elle passée, en une douzaine d’années marquées par l’amateurisme politique et la mauvaise gouvernance, du statut de pays pré-émergent donné en modèle pour ses voisins au sud de la Méditerranée à celui de pays presque failli, en passe de devenir un boulet de fer aux pieds de ses principaux partenaires ?
Par Imed Bahri
Cette question, tous les Tunisiens doivent se la poser avant de rejeter sur les autres la responsabilité de leurs déboires actuels, car ils n’ont finalement été desservis que par eux-mêmes.
«Il y a une vingtaine d’années, la Tunisie était considérée comme un pays pré-émergent et certains parlaient, probablement avec un excès d’enthousiasme, de miracle tunisien. Aujourd’hui, après douze années de ‘‘liberté’’, de ‘‘dignité’’ et d’‘‘innovations révolutionnaires’’, la Tunisie vit au jour le jour et très bientôt au goutte à goutte», constate, à ce propos, Elyes Kasri, ancien ambassadeur de Tunisie en Inde, au Japon et en Allemagne, dans un post facebook publié aujourd’hui, mercredi 22 mars 2023.
Un boulet de fer
Le diplomate, qui a été en poste dans trois pays très différents mais qui ont en commun d’être partis de très loin, au lendemain de la seconde guerre mondiale, pour se classer aujourd’hui parmi les dix premières économies du monde, et qui a observé de près leur émergence sur la scène mondiale, exprime une amère désillusion face à la crise économique et financière que traverse actuellement son pays, lequel est en passe de devenir un boulet de fer aux pieds de ses partenaires historiques, l’Union européenne et les Etats-Unis en l’occurrence, qui craignent à juste titre son «effondrement» et ne se privent pas de le dire tout haut.
Du statut de pays pré-émergent donné en modèle aux autres pays de la région, la Tunisie est en effet passée, en une douzaine d’années marquées par l’amateurisme politique et la mauvaise gouvernance, à celui de pays failli ou en voie de l’être.
Comment un peuple organisé, travailleur et inventif a-t-il pu se transformer en une si courte période en un peuple désorganisé, paresseux et vivant aux basques de ses partenaires qui ne savent plus comment faire pour le sortir du pétrin où il s’est engouffré lui-même?
Trajectoire autodestructrice
Elyes Kasri a sa réponse à cette question. Dans le même post facebook, il pointe ce qu’il appelle la «transe révolutionnaire» et le «délire contestataire même de son histoire et de son identité», faisant ainsi allusion au spectacle de grand guignol que la classe politique dans son ensemble avait donné pendant la «décennie noire» où les questions économiques et sociales étaient négligées au profit des débats idéologiques, aussi superflus que paralysants et improductifs.
«A force de parler de scénarios envisageables en Tunisie, certaines parties étrangères vont jusqu’à déclarer publiquement craindre le pire et ne sont pas loin de considérer que le peuple tunisien ne peut persister à s’enfoncer dans sa trajectoire autodestructrice et compromettre la stabilité de son voisinage», constate le diplomate, par allusion aux récentes déclarations des responsables européens et américains sur ce qui est en passe de devenir «la question tunisienne». Et il conclut, sur le même ton désenchanté : «Pire qu’un Etat failli, la Tunisie semble en voie d’être considérée comme une menace à la sécurité et la stabilité régionales.»
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