Trois jours que l’attentat terroriste de la synagogue de la Ghriba, à Djerba, a eu lieu. Trois jours que j’attends comme paralysée, ahurie et hébétée. Un mélange de colère mais surtout de désillusions amères et de grande tristesse.
Par Lilia Bouguira *
Si je suis en colère sûrement pour la quantité de belles choses et symboliques écroulées en une fraction de minute par les mains de ce crapuleux terroriste.
Si je suis en colère, oui sûrement pour le rêve permis dans cet endroit magique que les mains assassines de ce crapuleux terroriste ont étouffé dans l’œuf.
Si je suis en colère certainement pour un million de choses encore plus belles les unes que les autres que ce terroriste a ternies dans un bain de sang. Le sang de cinq innocents toutes confessions confondues.
J’ai même écrit le premier jour du pèlerinage de la Ghriba pour l’assigner et immortaliser sa beauté, sa symbolique et ses rituels. Surtout cette année que cela promettait à max.
Mais il y a plus que de la colère, je suis meurtrie dans toutes mes peaux. Je suis anéantie, malade par autant de haine injustifiée mais surtout meurtrie par ce terrible «mi silence mi bruit». Dans mon dialecte, on dirait «lahou lahou». Dans la langue de Molière, ni trop peu ni beaucoup. L’entre-deux. Faible même, je dirai.
Juste un ministre du Tourisme rapidement dépêché sur place et un discours pour condamner.
J’aurai aimé que l’on ait décrété un deuil national pour ces innocents tués juste parce qu’ils étaient juifs et pour ces trois vaillants policiers abattus dans l’exercice de leurs fonctions pour protéger les pèlerins.
J’aurai aimé que des personnalités notoires du pays soient accourues à l’heure même à leur tête le président pour rassurer les pèlerins sur place, présenter leurs condoléances aux familles juives tunisiennes endeuillées et surtout soutenir la Ghriba et sa population sous le choc.
«Je suis Djerba» aurait eu un retentissement national pour unifier tous les Tunisiens derrière leur président contre les vraies voix obscures et terroristes.
«Je suis Djerba» aurait eu un retentissement international pour venir en aide à un pays meurtri et endeuillé dans sa plus belle fête d’une Tunisie plurielle.
La Ghriba en deuil se relèvera comme toujours. Les juifs tunisiens venus du monde entier au pèlerinage quitteront meurtris et sans promesse de retour mais ils reviendront. Ils reviendront parce que dans la mémoire collective des juifs tunisiens, le pardon est de mise, le bien-vivre une devise générale. Je les devine écouter et réécouter le fameux discours de Bourguiba après les émeutes et les violences du 5 juin 1967. Il s’est fait menaçant, frappant de son poing et en colère pour celui qui oserait s’attaquer encore ou toucher à un cheveu d’un juif tunisien. Il rappellera à jamais que le juif tunisien est chez lui et que nul n’a le droit de le déloger ou lui nuire.
Les juifs sont quand même partis par milliers en silence et en pleurant leur mère patrie devenue hostile. Mais les juifs sont revenus chaque année ne coupant jamais avec la sainte Ghriba pour s’abreuver en son sein des splendeurs de leur pays.
La Tunisie est maîtresse. Ses plages, un havre de paix. Le lait de l’olivier intarissable et sa terre bénite.
Ils reviendront parce que dans chaque tournant des grands drames de ces éternels exilés, les chants de la Ghriba les ont toujours rappelés. La Tunisie malgré les blessures a toujours su se rattraper et les repêcher.
Les ‘‘Je reviendrai là-bas’’ de Henri Tibi(1) les ramèneront tant que des justes de la trempe de Yassine Redissi(2) entretiendront les mémoires.
* Médecin.
Notes :
1- Auteur-compositeur-interprète franco-tunisien, né le 19 octobre 1930 à Tunis et mort le 14 mai 2013 à Baume-les-Dames près de Besançon, en France.
2- Réalisateur franco-tunisien ayant réalisé un film sur Henri Tibi, intitulé ‘‘Je reviendrai là-bas’’.
Donnez votre avis