Lettre de colère d’un chroniqueur arabe parue dans le journal ‘‘Al-Watan Al-Qataria’’, en apparence contre l’Amérique de Donald Trump, en réalité contre les siens.
Par Adham Charkawi, traduite de l’arabe par Béchir Garbouj *
Monsieur Donald Trump,
Ceci n’est pas une lettre de félicitations, vous en avez suffisamment reçu. Ce n’est pas, non plus, une lettre d’allégeance. C’est juste un peu de bavardage. Nous sommes une nation passionnée de paroles. Peut-être ne le savez-vous pas – d’ailleurs, vous ne savez pas grand-chose –, nous sommes la seule nation du monde à s’être, un jour, dotée d’un marché au verbe. Nos ancêtres se rendaient en effet, bien avant la découverte de l’Amérique, au marché d’Oukadh pour vendre de la parole, quel mal y a-t-il à ce que l’enfant suive les traces de son père ?
Monsieur le Président,
J’aurai, pour commencer, un reproche à vous adresser : vous ne nous avez pas invités à vos élections. Vous affirmez que les peuples ont le droit de choisir leurs gouvernants, puis vous oubliez de nous appeler à voter ! Pourtant, Dieu m’est témoin que ma voix vous était acquise, que je n’ai cessé de prier pour que vous soyez le vainqueur. D’ailleurs, c’est ma femme elle-même qui est venue m’apporter la bonne nouvelle en disant: «Ton ami a gagné!»
Je ne voulais naturellement pas voter pour vous par amour pour votre personne, je n’aurais pas poussé l’aveuglement jusque-là, mais je l’ai fait parce que vous êtes un malin, et que vous l’êtes à visage découvert : pas le moindre intervalle entre ce que vous pensez au fin fond de vous-même et ce que vous proférez. Non, vous n’êtes pas un diplomate comme cette vipère d’Hillary Clinton! J’ai voulu que vous gagniez parce que c’est entre vos mains que se révélera le visage obscène de l’Amérique.
Rien ne saurait précipiter un pays dans la ruine aussi vite que d’en confier le destin à un idiot. Pour moi, j’implore le Très-Haut de faire en sorte que votre mandat soit le début de la débandade, et que les années à venir soient pour l’Amérique semblables à ces sept années de désolation dont parlent les Ecritures.
Je viens d’un peuple à qui il suffit qu’Hillary Clinton lui dise : «Allez en enfer, mes bons!» pour qu’il répète : «Ah ! Les douces paroles que nous susurre la blonde !» Mais, avec vous, les choses sont différentes. Vous, vous êtes d’une grand franchise, vous jouez cartes sur table, vous dites sans détours : «Nous voulons le pétrole de l’Arabie Saoudite», vous ne dites pas : «L’Arabie est un pays ami», avant de lui planter au bas du dos un accord sur le nucléaire avec l’Iran, de lancer à l’assaut les hordes du Hashd, en Irak, et les chiens des Houthis au Yémen.
Vous, vous dites franchement aux musulmans que vous ne voulez pas d’eux en Amérique, et non qu’ils sont les bienvenus alors même que vous chuchotez à l’oreille des sénateurs : «Votez le Jasta act !»** Et puis, vous le dites clairement : «Qu’avons-nous à faire de la Syrie, tuez autant de Syriens que vous voulez, mais qu’on ne voie pas la couleur de leur sang!», plutôt que de claironner que les valeurs de l’Amérique ne permettent pas les massacres d’Alep, puis de souffler à Poutine: «Tuez-les, tous, pas de quartier !»
Vous, vous dites en toute franchise : «Je suis avec Israël dans tout ce qu’il entreprend», vous ne marquez pas votre opposition aux implantations coloniales avant de financer l’achat du ciment, vous ne demandez pas aux Israéliens de faire preuve de retenue à Gaza avant de leur fournir les missiles pour la bombarder.
Monsieur le Président,
Savez-vous pourquoi l’Amérique vous a choisi? Je vais vous le dire. Elle vous a choisi parce que vous en êtes le reflet fidèle. Dans un pays qui se respecte, vos atouts seraient plutôt ceux d’un chef de bande. Ne vous impatientez pas, je vais donner la preuve de ce que je dis. Premièrement, vous n’avez aucune culture, vous en savez autant de la politique que Shakira de la relativité généralisée.
Hillary vous a traîné par deux fois dans la boue et mis à nu votre ignorance, et pourtant vous avez été élu!
On a diffusé sur les réseaux sociaux des séquences où vous vous vantez d’avoir tombé bien des femmes, et pourtant vous avez été élu ! Votre vie de famille est à pleurer, et pourtant vous avez été élu ! Croyez-moi, vous êtes une image en miniature de l’Amérique, l’image obscène d’un Etat obscène qui célèbre jusqu’à ce jour l’anniversaire des bombes nucléaires qu’il a lancées, sans état d’âme, sur Hiroshima et Nagasaki.
Monsieur le Président,
Nous en avons assez des masques, montrez-nous le vrai visage de l’Amérique. Nous sommes fatigués de toute cette rhétorique lénifiante que nous entendons, faites-nous entendre les vrais mots de l’Amérique. Et nous sommes gavés de tous ces sentiments d’inquiétude et de colère qu’ils nous servent sur ce qui nous arrive, ce ne sont là, au mieux, que les symptômes d’on ne sait quelle grossesse difficile et non l’expression d’une vision politique.
Montrez-nous donc les vrais sentiments de l’Amérique à notre égard, n’ayez pas peur de heurter nos sentiments. Nous, nous les connaissons, ces sentiments, mais nous voulons que nos dirigeants sachent qu’il s’agit d’une relation d’amour à sens unique ! Nous sommes las de vous voir jouer les équilibristes, montrez-nous que vous avez vos parti-pris, n’hésitez pas à nous asséner votre vérité, peut-être contribuera-t-elle à nous réveiller !
Monsieur le Président,
Rien ne saurait précipiter un pays dans la ruine aussi vite que de confier son destin à un idiot. Pour moi, j’implore le Très-Haut de faire en sorte que votre mandat soit le début de la débandade et que ces années à venir soient pour l’Amérique semblables aux sept années de désolation dont le Tout-Puissant a voulu frapper l’Egypte, à l’époque de Joseph.
Soyez vous-même, ne leur permettez pas, je vous prie, de vous bâillonner, soyez un véritable Américain sans fard ni cosmétique.
* Universitaire et écrivain, auteur d’un récent roman ‘‘Passe l’intrus’’ (éd. Déméter, Tunis, 2017).
** Il s’agit de «Justice Against Sponsors of Terrorism Act», en français : la loi sur la justice contre les sponsors du terrorisme, plus connue sous son acronyme anglais: Jasta. Elle permet aux victimes du terrorisme et leurs ayants droits d’attraire les Etats impliqués directement et même indirectement dans des actes terroristes commis sur le sol américain devant la justice fédérale américaine, sans que ces Etats puissent se prévaloir de leurs immunités. C’est à quoi le président Obama s’est opposé. Pour lui, une telle loi peut entraver les intérêts américains. Sans mentionner aucun Etat, ni même les attaques du 11 septembre 2001, le contexte de la promulgation de cette loi ne laisse aucun doute sur ses visées : il s’agit d’un moyen d’inculper l’Arabie Saoudite et de lui demander des dédommagements.
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