La Tunisie, qui fait face à de grosses difficultés financières, a aujourd’hui le dos au mur, et a besoin d’un bol d’oxygène que son partenaire européen est en mesure de lui apporter. Mais notre pays est-il pour autant disposé à faire des concessions sur certains dossiers : peut-être pas sur celui des libertés et des droits de l’homme, dont les Européens se soucient désormais comme d’une guigne, mais sur celui de la migration illégale, une grosse épine au pied de Giorgia Meloni et de ses pairs européens ?
Par Ridha Kefi
«Parler de diktats européens comme le font certains prête à rire. Il n’est pas question pour la Tunisie d’accepter des diktats extérieurs en relation avec ses négociations avec le Fonds monétaire international (FMI)», a déclaré le conseiller diplomatique du président de la république Kaïs Saïed, Walid Hajjem, dans une intervention par téléphone dans l’émission Rendez-vous 9 sur Attessia, hier soir, vendredi 9 juin 2023, ajoutant que «la paix sociale est une ligne rouge pour le président de la république», faisant ainsi allusion aux réformes sur lesquelles la Tunisie s’est engagée dans ses négociations avec le FMI pour un prêt de 1,9 milliard de dollars, notamment la levée des subventions et la réduction de la masse salariale dans le secteur public, que l’exécutif tunisien rechigne à mettre en œuvre. «Les choix seront nationaux et prendront en compte la situation économique dans le pays et la nécessité de préserver la paix sociale», a insisté Hajjem.
La migration illégale en point de mire
Ce dernier, qui fait souvent fonction de porte-parole officieux de la présidence de la république, a fait ces déclarations quarante-huit heures avant la visite à Tunis, demain, dimanche 11 juin, de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui sera accompagnée par la Première ministre italienne Giorgia Meloni, de retour à Tunis moins d’une semaine après sa première visite dans notre pays, et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte.
Interrogé à propos des sujets qui seront discutés par les responsables européens avec le président Kaïs Saïed, Walid Hajjem s’est contenté de souligner que les négociations avec le FMI ne seront pas l’unique axe de ces discussions, ajoutant que les relations économiques et culturelles entre la Tunisie et l’Union européenne ainsi que le problème de la migration seront aussi débattus, sans en dire davantage.
On sait, cependant, que cette dernière question sera la plus importante au regard des hôtes européens qui ont tendance à la mettre au cœur de leurs préoccupations et de lier tout nouvel accord de l’UE avec la Tunisie à des avancées en matière de lutte conjointe contre la migration illégale. On sait, en effet, que l’UE en général et l’Italie en particulier attendent de notre pays qu’il joue un rôle plus ferme et plus déterminant dans le ralentissement des flux de départs des barques de migrants des côtes tunisiennes. Et à cet effet, les responsables européens ne vont pas se priver de conditionner les aides financières et autres (investissements, aides à la mobilité, facilitation de l’octroi de visas, etc.), qu’ils sont prêts à accorder à notre pays, à notre disposition à jouer le rôle de gardes-côtes à leurs frontières maritimes.
On sait , par ailleurs,que l’un des problèmes actuels des pays de l’UE est de sécuriser leurs frontières méridionales au moment où leurs frontières orientales sont soumises à de fortes pressions en raison de la guerre russo-ukrainienne, et qu’à cet effet un nouvel accord sur la migration avec la Tunisie devient nécessaire voire urgent.
Or, heureuse coïncidence au regard de Bruxelles, notre pays, qui fait face à de grosses difficultés financières, a aujourd’hui le dos au mur, et a besoin d’un bol d’oxygène que son partenaire européen est en mesure de lui apporter. La Tunisie serait donc, à priori, disposée à faire des concessions sur certains dossiers : peut-être pas sur celui des libertés et des droits de l’homme, dont les Européens se soucient désormais comme d’une guigne, mais sur celui de la migration. C’est, en tout cas, ce que l’on pense tout bas à Bruxelles où l’on croit pouvoir, à ce sujet, mettre la barre un peu plus haut que d’habitude.
Des gardes côtes au sud de l’Europe
On sait qu’en 2017, l’Allemagne avait proposé à la Tunisie de financer des camps de migrants sur le territoire tunisien où l’on procèderait à la confirmation de la nationalité des migrants illégaux, nécessaire à leur renvoi à leurs pays d’origine, mais cette proposition a été rejetée aussi bien par le président Béji Caïd Essebsi que par le chef de gouvernement Youssef Chahed, la Tunisie rechignant à jouer le rôle de garde-côtes pour les pays du nord de la Méditerranée. Mais s’il a été momentanément abandonné, ce projet n’en continue pas moins de germer dans l’esprit des responsables européens qui ne désespèrent pas de voir la Tunisie accepter aujourd’hui ce qu’elle rejetait hier, sa situation générale ayant dégénéré au cours des dernières années au point qu’elle est devenue plus vulnérable et plus dépendante de ses partenaires et bailleurs de fonds occidentaux.
On sait aussi que Bruxelles s’apprête à adopter une nouvelle loi (si ce n’est déjà fait) permettant aux Etats européens de renvoyer les immigrés clandestins non pas dans leurs pays d’origine (qu’ils ont toujours du mal à définir, ces derniers refusant souvent de décliner leur identité réelle) mais dans les pays d’où sont parties les embarcations les ayant ramenés en Europe. Ce qui va permettre aux pays européens de désengorger leurs centres de réfugiés d’un certain nombre de personnes dont ils auraient établi entretemps qu’ils étaient parties des côtes de tel ou tel pays sud-méditerranéen. La Tunisie sera-t-elle le premier de ces pays à accepter ce deal moyennant quelques aides financières, techniques et sécuritaires… Bref, des «cacahuètes», comme on dit dans le jargon de Bruxelles ?
Connaissant la crispation que montre Kaïs Saïed à chaque fois que la souveraineté de la Tunisie se trouve en jeu, on peut s’attendre à ce qu’il rejette toute proposition de ce genre risquant de porter atteinte à l’autonomie de la décision nationale, et, surtout, d’aggraver les problèmes liés à l’immigration illégale auxquels notre pays est confronté en tant que pays de transit. Attendons voir… Mais ne présumons surtout pas de la marge de manœuvre du Palais de Carthage qui reste, tout de même, très limitée.
Donnez votre avis