Interpellées sur leur incapacité à gérer le dossier des «avoirs spoliés au peuple» et gelés depuis 2011 à l’étranger, les autorités tunisiennes bottent en touche et cherchent des boucs émissaires sur lesquels se défausser de leur incompétence largement prouvée.
Par Imed Bahri
Le communiqué de I Watch sur la question de la récupération des avoirs volés «prouve le caractère purement politique de l’agenda de cette organisation, sans rapport avec le droit légitime du peuple tunisien à récupérer ces avoirs», a indiqué le ministère des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, dans un communiqué publié vendredi 1er septembre 2023.
L’organisation I Watch avait publié la veille un communiqué dans lequel elle accuse l’État d’être incapable de récupérer les fonds pillés. «Cela est dû à l’absence d’une politique diplomatique claire pour aborder cette question qui relève des prérogatives du président de la république après sa prise de fonction en 2019, et surtout après le 25 juillet 2021», date de la proclamation de l’état d’exception, peut-on encore lire dans son communiqué, où elle n’a fait, en réalité, que souligner une réalité que les faits attestent et que déplorent tous les analystes et les experts.
A la solde de l’étranger
Certes I Watch a déclaré que Nabil Ammar «est le premier responsable de ce dossier en sa qualité de ministre des Affaires étrangères», mais il n’y a pas vraiment de quoi mettre ce dernier dans tous ses états. Car même s’il a été personnellement ciblé par cette critique, il aurait pu juste rappeler à ses détracteurs qu’il n’est à son poste que depuis quelques mois et que les nombreux manquements enregistrés dans la gestion ce dossier sont imputables à tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011. Et éviter ainsi de partir en guerre contre I Watch en déclarant que le communiqué de l’organisation met en évidence son «ignorance, qu’elle soit feinte ou réelle, des procédures judiciaires et diplomatiques», se faisant ainsi l’avocat des acteurs de ladite «décennie noire» qui n’en demandaient pas tant.
«Cela porte également atteinte à la crédibilité des auteurs de ce communiqué, ainsi qu’à celle des acteurs étrangers qui soutiennent ces organisations et continuent de les financer et de les soutenir par tous les moyens», a cru devoir ajouter le ministère, qui accuse ainsi I Watch d’être à la solde de l’étranger, ce qui mérite au moins d’être prouvé et, surtout, suivi de décisions fermes contre l’organisation et ses supposés bailleurs de fonds étrangers.
On sait que l’accusation de haute trahison et de complot contre l’Etat est devenue d’une telle banalité que tout le monde peut la proférer à tout moment contre n’importe quel adversaire, mais s’agissant du ministère des Affaires étrangères, architecte de la politique étrangère de l’Etat tunisien, on est en droit d’exprimer notre étonnement et, surtout, notre inquiétude face à ce dérapage non-contrôlé qui pourrait mener très loin et aggraver l’isolement diplomatique de la Tunisie.
Une manne du ciel
«Cette déclaration n’impactera certainement pas les autorités, ni n’affectera leur détermination à poursuivre leurs actions dans tous les domaines, conformément aux aspirations clairement exprimées par les Tunisiens», a souligné encore le communiqué des Affaires étrangères. Mais sur le fond, cette sortie intempestive et à côté de la plaque ne rassure personne sur l’aboutissement des procédures lancées par l’Etat, et qui, en une douzaine d’années, lui ont déjà coûté beaucoup d’argent, en soi-disant expertises et frais de défense, avec les résultats mitigés que l’on sait.
On aurait aimé entendre le ministre Nabil Ammar s’exprimer sur le fond, à savoir les raisons du non aboutissement de ces procédures déjà mises en œuvre et les moyens que le gouvernement et, plus particulièrement, le département dont il a la charge, comptent mettre en œuvre pour les faire aboutir, faire taire une fois pour toute I Watch et les autres détracteurs du gouvernement, et surtout cesser d’endormir Tunisiens par des fables et de les bercer par des illusions, en continuant à leur faire miroiter la perspective d’une manne qui tomberait bientôt du ciel. Une manne que M. Ammar et ses collègues du gouvernement sont les mieux placés pour savoir qu’elle n’existe nulle part et qu’il ne sert à rien de continuer à courir derrière des mirages.
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