C’est des îles Kerkennah, terre natale du patriote unissant les Tunisiens, Farhat Hached, que Youssef Chahed entreprend sa marche vers Carthage, plaçant sous le signe de Kerkennah sa campagne et les élections plus généralement.
Par Farhat Othman *
De ces îles, déjà, brilla à l’horizon la légende de Bourguiba. Choisissant d’y accoster à l’orée de sa propre longue marche, Chahed songe probablement allier l’aura du premier président de la Tunisie au souvenir impérissable de son auguste syndicaliste. En une Tunisie en guerre avec sa modernité et plus que jamais divisée, il y trouverait la passe magique pour consolider le legs du premier à la manière du second, au plus près de son âme.
Cela signifie d’oser faire du pays non une modernité au sens réducteur, sacrifiant ses fondations jugées archaïques, mais un pays postmoderne où se réalise la synergie des contraires se complétant. Car la postmodernité est un enracinement dynamique dans ce qui fait l’essence, l’archaïsme au sens de nature première, fondement de l’épanouissement en phase avec un progrès qui n’est plus sans conscience.
Symbolique des Kerkennah
Archipel rêveur adossé à la ville industrieuse de Sfax, Kerkennah résume l’essence de l’être tunisien, ses éléments essentiels de caractère, sa psychologie profonde s’y quintessenciant. Et que ces îles comptent parmi ses enfants Farhat Hached et son émule Habib Achour montre assez sa fibre sociale revendicative comme trait éminent de la dignité en Tunisie.
De tout temps, Kerkennah étaient réputées par le caractère et le comportement indépendant de leurs femmes, les seules pratiquement en Tunisie à n’avoir jamais porté de fichu ni à se voiler, habituées depuis toujours à travailler dans les champs alors que leurs hommes allaient en mer. On fait, pour certaines, des descendantes de nobles citadines venues de Tunis, exilées sur ces îles par les beys en punition de leurs mœurs libres et libérées; pour d’autres, des arrivantes d’outre-mer, ayant pour ascendants fiers guerriers espagnols ou farouches corsaires, les premiers au service du Roi Catholique d’Espagne et les autres du calife de la Sublime Porte. Toutes étaient éprises de liberté, saisies par le vent du large et l’esprit d’aventure, en parfaite entente avec les filles d’origine du pays, les farouches Femmes Libres amazighes.
La sociologie kerkénienne symbolise à merveille la texture de toute la Tunisie, mélange détonnant sans manquer d’harmonie, complexe, mais riche de potentialités et en promesses d’originalité. Les premiers habitants du pays n’ont-ils pas admirablement assimilé les étrangers venus de ce qui constitue le Liban actuel tout en assimilant leur principale caractéristique de voyageurs nés? De plus, la conversion à l’islam ne se fit-elle pas qu’après moult remous, une fois que les Hommes Libres, premiers habitants, aient découvert dans l’esprit arabe authentique une passion similaire à la leur pour les larges espaces, célébrant un esprit libertaire dans un esprit de conquête permanente d’espaces de libertés sans entraves. Cela fit l’ouverture légendaire du Tunisien à l’altérité.
Lieu faisant lien
Kerkennah, au vrai, est un lieu qui fait lien, incarnant le pur esprit tunisien. Or, c’est en cet endroit qu’est venu se reposer le guerrier Chahed à la veille d’un combat en une Tunisie plus que jamais divisée. Aussi, imprégné par la magie propre du lieu, son repos sera assurément une préparation à une bataille pour la tunisianité ne devant être que cette nécessaire alliance entre la volonté populaire chantée par le plus célèbre poète national, l’amour du peuple incarné par le plus digne fils des îles et l’hédonisme marquant le quotidien insulaire.
Le lien social kerkennien est une propension permanente à une volupté de vivre dans le prolongement du passé, plongeant jusqu’aux mœurs carthaginoises décriées déjà par les tenants de la pensée pudibonde de ce temps-là et dont on a, de nos jours, de plus en plus écho. Il est aussi cette fibre sociale qui n’est que l’héritage des valeurs ancestrales de l’islam populaire, les Kerkenniens restant ancrés dans leur identité dont la dimension essentielle est un islam culturel, non cultuel.
Mais pour être lieu et lien, ces îles attachées à la grande métropole du sud qu’est Sfax ne gardent pas moins leur spécificité, éprouvant le besoin et l’envie de s’en distinguer moralement et mentalement. Ainsi, si Sfax est dogmatiquement attachée à l’islam d’Ennahdha, Kerkennah l’est librement, avec un continuel rappel à l’éthique. Et il s’agit d’une éthique esthétique, au sens à la fois de sensibilité et de beauté, l’insulaire étant féru du beau geste, marque de toute âme noble.
Stratégie pour Chahed
On sait Youssef Chahed méticuleux, quitte à être pointilleux, toute action pour lui se devant d’avoir sa raison d’être, son utilité. Ayant le sens du devoir, pragmatique, il ne décide rien à la légère, même pas une escapade de vacances de fin de semaine, son caractère exigeant, horrifié par l’imprévu l’excluant. Aussi, il se serait rendu sur ces îles enchanteresses, inspirant qui sait y venir s’y ressourcer, en vue de mieux peaufiner sa stratégie électorale.
Avec ces petites terres variées, mais unies, où chaque village a sa propre spécificité, Kerkennah offre le modèle d’un tout harmonieux dans l’union, loin de l’unicité, manifestant au concret la fameuse diversité de l’unité, ce qui siérait bien à toute la Tunisie. Comme les dignes fils de l’archipel, il portera haut les valeurs des Tunisiens, toutes leurs valeurs, pour ériger un État de droit uni dans sa diversité, sans nulle exclusion ni refus de la moindre différence.
Ayant été chef du gouvernement d’union nationale, il a la légitimité d’être chef de l’État enfin uni, guère plus désuni. Alors, il ne fera que prolonger la militance de Hached, plus grand amant à ce jour du peuple tunisien, mal-aimé de ses élites déconnectées de ses réalités. Les Kerkennah lui seraient-elles de bon augure pour le 15 septembre ? Fêtera-t-il, sous leur signe, cette année, son anniversaire trois jours à l’avance ? Les astres semblent déjà avoir voté pour lui en ce mois de consécration pour les natifs du signe astrologique de la vierge sous lequel est né Youssef Chahed.
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