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La Tunisie face au brasier libyen (2/4)

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Deuxième volet d’une série de 4 articles au titre générique ‘‘L’Etat minimum et la 3e génération du jihad’’, sur la lutte antiterroriste en Tunisie.

Par Malik Ayari*

Dans son rapport de novembre 2013 «Jihadisme et contrebande», Michael Ayari de l’International Crisis Group avait écrit que «les cartels frontaliers s’étaient réorganisés à la faveur de l’affaiblissement de l’Etat tunisien et de la guerre en Libye», ce qui a entrainé un redéploiement des cartels de contrebande et des affairistes aux frontières et l’affaiblissement de l’Etat et de son aptitude à préserver l’économie et la sécurité.

Trafic transfrontalier et affaiblissement de l’Etat

La Tunisie se retrouve ainsi prise en étau sur son flanc ouest (Al-Qaïda au Maghreb islamique, Aqmi) et est (Etat islamique, Daêch), entrant dans un cercle vicieux où la porosité accrue des frontières a ouvert la voie à un trafic plus dangereux, une corruption accrue des corps habillés et une convergence d’intérêt toxique entre trafiquants et jihadistes (à l’image de la convergence entre ces deux groupes au Sahel).

Cette tension exercée en continu sur les forces armées, use leur capacité de riposte.

Enfin, la fragmentation croissante des centres de pouvoir et des milices en Libye empêche l’émergence d’un interlocuteur crédible et accule la Tunisie à s’accommoder de petits marchandages avec un voisin de palier trouble, Fajr Libya (milices islamistes), tout en provoquant la colère du gouvernement de Tobrouk (libéral).

Certes, l’impression légitime que les armes en provenance de Libye submergent la Tunisie doit être soumise à l’épreuve des faits, mais quelle que soit l’échelle réelle ou supposée, cette menace ne doit pas être sous-estimée, une seule Kalachnikov suffisant à commettre le plus grand attentat depuis l’indépendance, comme l’a illustré douloureusement l’attentat de Sousse.

La menace n’a jamais été aussi asymétrique

La fragmentation de la Libye constitue la plus grande menace stratégique. Le risque existe que Daêch exerce durablement une attraction sur d’autres groupes islamistes, des criminels, des anciens fidèles de Kadhafi ou des membres de tribus qui ont perdu leur influence après 2011.

Est-il besoin de rappeler le cas de Ezzat Ibrahim, surnommé le «diable rouge», fidèle lieutenant de Saddam Hussein, devenu l’un des fondateurs de Daêch qui a émergé à la faveur de la rébellion sunnite menée contre les Américains par

Al-Qaida, après l’invasion de l’Irak.

La Libye est aujourd’hui divisée entre un pouvoir qui se présente comme modéré à Tobrouk, mais que ses adversaires présentent comme kadhafiste, et un pouvoir issu de la révolution à Tripoli, que ses adversaires présentent comme dangereusement islamiste.

Cela est beaucoup plus complexe car les réalités tribales se superposent à cette lecture, par un jeu d’alliances croisées, idéologiques ou obéissant à une simple logique de prédation pour le contrôle du territoire et des ressources.

La Tunisie subit cette détérioration en essayant de suivre maladroitement la multiplication des centres de gravité du pouvoir en Libye, tout en étant incapable de maitriser ses réseaux affairistes qui utilisent aussi la Libye comme base arrière pour consolider leurs intérêts et leur capacité de nuisance en Tunisie…

Mais ce n’est pas en bombardant qu’on arrête cette évolution, bien au contraire. Les négociations conduites sous l’égide de l’ONU mettent du temps à aboutir, mais elles restent la meilleure chance de paix. Jean Marie Guehenno1 souligne cette nécessité : «Préserver ce qui reste de l’unité de la Libye, une banque centrale indépendante et une gestion autonome de la ressource pétrolière est un impératif. L’alternative est catastrophique: une guerre qui aura tous les moyens financiers de durer parce que chaque camp captera une partie de la rente».

C’est cette prédation qui permet aujourd’hui à ces groupes d’offrir autant de sanctuaires pour «nos» terroristes qui y prolifèrent, s’y arment et s’y entrainent. Seifeddine Rezgui, auteur de l’attentat contre un hôtel de Sousse, le 26 juin 2016, s’est entrainé à Sabratha, à l’ouest de Tripoli.

Gérer cette situation requiert de la Tunisie clairvoyance diplomatique, fermeté sur ses frontières, retenue et dialogue politique structuré. Seul un Etat résilient sera à même d’amortir ces tensions, et c’est cette résilience qui semble endommagée, aujourd’hui, faute d’une classe politique à la hauteur des enjeux.

(A suivre)

Demain: Une politique de sécurité publique défaillante (3/4)

Lire aussi :

La Tunisie dans le viseur de Daêch (1/4)

* Expert en prévention des conflits au Sahel, diplômé de l’Université de Paris I en Droit International et sur le Monde Arabe, de l’Institut Bioforce en gestion de projet humanitaire international.

Note :
1- Ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies aux opérations de maintien de la paix.

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