Il faudra désormais compter avec un délinquant nommé Yassine Ayari, avec ses répugnantes ambitions, dans l’effroyable équipe des fossoyeurs de la république.
Par Yassine Essid
Dans les démocraties du monde ordinaire, une élection partielle est une élection spéciale qui se déroule en dehors de toute campagne nationale et de l’échéance prévue, dans une seule circonscription politique, lorsqu’un député décédé ou qui a démissionné doit être remplacé.
Pour le cas du chanceux Yassine Ayari, la démission forcée d’un député de Nidaa Tounes, aux prix de quelques avantages compensatifs, notamment un secrétariat d’Etat aux attributions des plus saugrenues accordé au nez et à la barbe du chef de gouvernement Youssef Chahed, devait normalement permettre à Hafedh Caïd Essebsi de briguer un siège à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Pas de veine. Les railleries passées n’ayant jamais poussé le fils du président Béji Caïd Essebsi à un examen de conscience, le tollé général que cette grossière manœuvre souleva encore une fois l’en dissuada vivement.
Un député qui a grenouillé dans la mouvance islamiste radicale
Contre toute attente, et malgré les efforts et les financements d’une campagne coûteuse, Nidaa Tounes échoua à faire élire un candidat de substitution, malgré les promesses d’Ennahdha. Avec un taux d’abstentions record, on se retrouve aujourd’hui avec un élu notoirement connu pour avoir grenouillé dans la mouvance islamiste radicale, condamné en 2015 par le tribunal militaire permanent de Tunis à un an de prison ferme pour un certain nombre de délits dont l’atteinte au moral de l’armée n’est pas le moindre.
Ce mandat national, qu’il a réussi à obtenir, a-t-il bénéficié d’un réseau d’allégeances individuelles patiemment tissées? D’un prestige acquis par on ne sait quelle contribution à la société? Par des services rendus qui lui auraient valu de nombreux dévouements? Par l’efficacité de ses interventions au profit des habitants d’une commune ou par un travail associatif?
Toutes ces conditions eussent été superflues si M. Ayari n’avait maille à partir avec la justice de son pays et s’il avait été en communion de pensée sur le plan des principes politiques et moraux avec l’esprit de la constitution.
Un pied de nez à la classe politique dans son ensemble.
Une présence qui va ternir davantage l’image parlementaire
Peu importe la position politique pour laquelle il opta dans le large éventail de l’assemblée : gauche, droite, tendances populaire, républicaine, démocrate, islamiste, ou moderniste. Son profil restera toutefois bien en phase avec les usages d’une représentation qui n’est pas si exemplaire, où l’action délétère des fausses doctrines prend le pas sur l’exercice véritable du mandat de député de la nation, et où les mœurs claniques, l’incompétence ainsi que les travers des magouilleurs de toutes sortes n’ont jamais atteint ce degré d’une si honteuse et si indécente dissolution. Aussi, sa présence va-telle, sans conteste, contribuer à ternir davantage l’image parlementaire.
D’ailleurs, peu acclimaté au fonctionnement du palais du Bardo, et afin de s’initier aux rudiments des mécanismes législatifs, Yassine Ayari pourra toujours compter sur l’expérience de l’incorrigible Samia Abou, ou celle de l’impertinent Jilani Hammami, tous les deux manieurs de populace, tous les deux rompus, comme bien d’autres de leurs collègues, à l’art de l’insulte, de l’injure, de l’offense, de l’atteinte à la dignité des personnes, ministres autant que présidents.
En effet, depuis la Constituante, les élus se sont habitués à prendre la dignité de représentant du peuple comme une fonction qui autorise tous les dépassements au point de rendre infecte l’air qu’on respire sous l’hémicycle.
Les islamistes à l’Assemblée viennent donc d’étoffer leur groupe d’un élément de poids qui, bien qu’étant affilié à un autre mouvement, demeurera un enthousiaste adepte de leur idéologie et, quoi qu’ils prétendent, partagera avec eux le rêve de rassembler les musulmans du monde au sein d’un même califat et la conviction que la démocratie, celle-là même qui lui permit de siéger à l’ARP, ne serait que l’idolâtrie du peuple.
Le plus étonnant est que les autorités, qui le menacèrent naguère de leurs glaives de le poursuivre pour des faits avérés, prennent subitement ses crimes passés pour des moments de faiblesse. Pourtant, la procédure est simple : si le postulant est jugé indigne a posteriori, parce que coupable de fautes graves, de faits criminels ou délictueux et, partant, de représenter une collectivité, et que ceux qui l’ont élu n’aient point de connaissance de son indignité, on doit déclarer nulles, et la candidature et l’élection.
Les islamistes à l’Assemblée viennent donc d’étoffer leur groupe d’un élément de poids.
Un repris de justice soudainement et définitivement absous
Le voilà toutefois définitivement absous pour ce qui n’est plus, au regard d’une autorité évanescente, que des intentions présumées. D’ailleurs, au point ou nous en sommes, et en matière d’impunité, rien ne l’empêcherait à l’avenir d’être le rapporteur d’une loi, de présider la commission de la justice ou celle de la sécurité et de la défense. Il pourrait même se payer le luxe de convoquer des ministres, sommés de lui rendre des comptes.
Dans un pays sain, dans lequel des lois justes régissent un peuple libre, le dernier balayeur (avec le respect que l’on doit à ce corps de métier digne et travailleur) n’aurait pas pensé autrement face à l’entrée sous l’enceinte de l’ARP d’un repris de justice faisant désormais cortège avec ceux qui osent prôner le respect de l’intégrité morale, font la chasse à la corruption et dénoncent l’extrémisme.
Ainsi, M. Ayari défendra bientôt les mêmes causes de ceux qui sont encore confits dans leur peur des mots nets, dont les langues bavardes sont restées collées à leurs palais, qui sont tenus à des vasouillages, un jour pour, un jour contre, là où nous nous saurions attendus à plus de bon sens, d’esprit politique, de franchise et de courage.
Alors plus rien n’existerait des querelles de doctrines et des confrontations des idées, plus rien ne compterait hormis cette abdication honteuse devant une entrée si indésirable aujourd’hui ratifiée par un serment solennel et un engagement ferme par lesquels l’adoubé jure fidélité et obéissance aux lois.
On se sent tous écœurés devant la faillite de la démocratie, la déliquescence de l’Etat, l’échec d’un gouvernement faible et indécis et l’inertie administrative, au moment même où se multiplient les arrestations arbitraires, les atteintes à la vie privée, et les menaces explicites d’un régime qui conçoit la sortie de crise et la résolution des défis économiques uniquement à travers une dérive autoritaire et le retour ostentatoire de plusieurs figures de l’ancien régime à des postes de décision.
L’effroyable équipe des fossoyeurs de la république
Dans l’effroyable équipe des fossoyeurs de la république, il faudra désormais compter avec Yassine Ayari, moins pour son attachement à l’idéal démocratique, que pour le fait de s’acoquiner à des partis sur lesquels il va installer toutes ses répugnantes ambitions.
Ce nouveau venu, n’est capable de rien. L’accueil triomphal de sa famille et de ses copains de quartier avec tambours et trompettes ne le grandira pas parce qu’il ne le méritait pas. Si l’ARP avait tout pour connaître et raisonner, elle n’eût pas accepté si docilement l’arrivée en son sein d’un délinquant, mais en huant celui à qui elle doit désormais sa mortelle indignation.
La démocratie ne sortira pas indemne d’un aussi terrible ébranlement. Une telle secousse réclame un traitement énergique et intraitable. Yassine Ayari aurait dû en bonne justice et bonne logique disparaître dans l’heure de son retour. Or, ce pantin dérisoire resta en place et les lézardes bien profondes des institutions, creusées déjà par plusieurs de ses collègues, seront encore moins réparables.
Ne surgira-t-il donc pas enfin un personnage réel dans ce pays, faisant quelque geste positif pour nous tirer de cet extravagant et dénaturé présent ?
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