Raouf Khamassi et son fidèle compagnon Radhouane Ayara du temps où ils étaient des groupies de Ben Ali.
Véritable patron de Nidaa Tounes au sein duquel il impose son diktat, Raouf Khamassi reste inconnu du grand public. Sa discrétion n’a d’égale que son influence. Qui est-il? Et comment est-il arrivé à Nidaa?
Par Chedly Mamoghli *
Mis à part les anciens membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, ancien parti au pouvoir sous Ben Ali) et certains membres de la communauté tunisienne en Allemagne, peu de gens le connaissent réellement.
Raouf Khamassi, c’est avant tout l’itinéraire et l’histoire d’un immigré tunisien en Allemagne qui possède un restaurant d’autoroute – même si pour se donner de l’importance il aime à se présenter et à être présenté en tant qu’homme d’affaires, c’est plus chic et plus valorisant –, c’est aussi le «Monsieur RCD» en Allemagne quand Zine El Abidine Ben Ali était président de la république.
Un Rcédiste dans l’âme
Raouf Khamassi a été le Monsieur RCD en Allemagne, pays qui compte une des plus importantes communautés tunisiennes à l’étranger et avec lequel la Tunisie entretient des relations étroites dans maints domaines notamment sécuritaire et économique, mais il fut également membre du comité central du parti bénaliste, l’instance la plus importante du parti après le bureau politique.
C’est en Allemagne d’ailleurs qu’il rencontrera celui qui deviendra son homme, le plus fidèle des fidèles dont M. Khamassi sera le mentor et favorisera la carrière à savoir Radhouane Ayara, actuellement ministre des Transports.
M. Ayara débuta sa carrière dans les années 1990 à la CNSS tout en intégrant les rangs du RCD, pratique courante chez les Rastignac de l’administration tunisienne qui y recourait afin de favoriser leurs carrières. Quelques années plus tard, il sera affecté en tant qu’attaché social au sein du consulat tunisien à Bonn. Et c’est là qu’il rencontre Raouf Khamassi. M. Ayara deviendra rapidement secrétaire-général du RCD en Allemagne et c’est là que débutera la complicité entre les deux hommes.
Puis en janvier 2011, c’est la chute du régime Ben Ali. Certains auraient pu croire que leur destin politique était terminé. Faux. L’opiniâtreté payera et M. Khamassi sait être avec la bonne personne au bon moment et au bon endroit. Toujours une bonne place auprès des détenteurs du pouvoir, toujours. C’est son leitmotiv.
Proche de Béji Caïd Essebsi et architecte du népotisme
Au moment de la fondation de Nidaa Tounes, il sera aux côtés de Béji Caïd Essebsi (BCE), dont il a fait la connaissance à l’époque où ce dernier était l’ambassadeur de Tunisie en République fédérale d’Allemagne, à la fin de la décennie 1980 (il occupe ce poste dès 1986).
Raouf Khamassi sera tout naturellement celui qui créera les structures de Nidaa en Allemagne en les calquant sur celles du RCD qu’il dirigeait sous l’ancien régime et en recourant à ses réseaux au sein de ce même parti. Mais M. Khamassi sera aussi membre fondateur et membre du bureau exécutif de Nidaa Tounes. Il est l’un des piliers de ce parti dès le début. Parallèlement, il est proche des islamistes et entretient d’excellentes relations avec le parti Ennahdha.
Durant l’été 2013, il fut l’une des chevilles ouvrières de l’accord du Bristol, le fameux accord entériné entre BCE et Rached Ghannouchi pour débloquer la situation dans le pays en proie à une crise politique déclenchée par l’assassinat du constituant Mohamed Brahmi qui avait donné lieu à une suspension des travaux de l’ANC (Assemblée nationale constituante) et au sit-in du Bardo.
Fin 2014, Nidaa Tounes, pourtant très jeune parti créé seulement en juin 2012, remporte les élections présidentielle et législatives. BCE entre à Carthage sans avoir préparé sa succession au sein de son parti, ce dernier entre dans une phase de guerre fratricide qui l’affaiblira et coûtera très cher à la stabilité politique du pays. Deux camps se forment et se livrent cette guerre, le camp du fils Hafedh Caïd Essebsi qui se croit dans une principauté d’opérette et réclame le plus naturellement du monde la succession de son papa et le camp de ceux qui refusent le népotisme et appellent à des élections internes.
Raouf Khamassi, en bon serviteur du prince et du fils du prince et voulant toujours s’attirer les bonnes grâces du pouvoir en place et formé à la bonne école Rcédiste, soutiendra sans faille et servira avec zèle Hafedh Caïd Essebsi. Il sera aussi l’un des principaux initiateurs et théoriciens du «tawafoq», compromis avec les islamistes d’Ennhdha afin de gouverner ensemble le pays.
Rcédisation de Nidaa Tounes
Raouf Khamassi ne veut pas entendre parler de démocratie interne au sein du parti, celui qui accepte la main mise de Hafedh peut rester, celui qui la conteste, dégage.
Bien évidemment, son soutien au fils du président n’est pas désintéressé car en gardant Hafedh il se débarrasse de toute forte tête capable de mettre à mal ses projets car M. Khamassi a des projets, notamment faire revivre le RCD, le ressusciter.
Durant ces quatre dernières années, Hafedh était utilisé par Khamassi. Raouf était le marionnettiste et Hafedh était la marionnette. Une «rcédisation» du Nidaa fut enclenchée à vitesse grand V. Tous les membres n’appartenant pas à la famille Rcédiste furent expurgés (qu’ils soient indépendants, de gauche, syndicalistes ou autres), il n’y avait plus de place que pour les Rcédistes.
Le bon vieux pote des années Ben Ali, Radhounae Ayara fut rappelé et gracieusement récompensé. Il a été d’abord bombardé gouverneur du Kef, le 22 août 2015, au cours du premier mouvement au sein du corps des gouverneurs engagé par le nouveau gouvernement Essid.
Un an presque jour pour jour après, le 27 août 2016, M. Ayara fait son entrée au gouvernement. Décidément le mois d’août, est un mois béni pour M. Ayara. Il devient secrétaire d’État chargé de l’Emigration et des Tunisiens à l’étranger auprès du ministre des Affaires étrangères. Le 6 septembre 2017, il devient ministre des Transport. Être l’homme de Raouf Khamassi et l’avoir comme mentor offre de belles perspectives de carrière.
Toutefois, il n’y a pas que M. Ayara, beaucoup d’anciens délégués sous l’ère Ben Ali – dont la révolution a carbonisé la carrière – furent ressuscité par M. Khamassi dont il fera des gouverneurs de la république. Toujours puiser dans le réservoir Rcédiste.
Pour M. Khamassi, ces gens ont vu leurs carrières stoppées net et vécurent un cauchemar avec la révolution et bien en les ressuscitant, ils lui en seront éternellement reconnaissants et fidèles. Méthodique, stratège et machiavélique le Khamassi !
Volte face et recherche d’un port d’attache pour 2019
Il y a trois jours, mardi 10 juillet 2018, Khamassi annonça cyniquement sur sa page Facebook qu’il lâchait Hafedh Caïd Essebsi dont il avait pourtant permis et soutenu bec et ongles son emprise sur Nidaa Tounes. Il a été l’architecte du népotisme et maintenant il dénonce ce népotisme. Raouf Khamassi nous prend décidément pour des cons! Il dénonce les pratiques de Hafedh, l’absence de démocratie au sein du parti et la monopolisation de la décision de la part d’un seul homme.
Certes, Hafedh a détruit Nidaa Tounes mais avec l’aide et le soutien infaillible de M. Khamassi qui aujourd’hui joue aux vierges effarouchées et tire à boulets rouges sur le fils du président.
Pire, M. Khamassi, qui est le véritable patron de Nidaa Tounes et dont Hafedh n’est qu’un éventail, rallie le camp du chef du gouvernement et appelle à son maintien alors qu’il a œuvré pendant des mois à le faire tomber.
Youssef Chahed n’appartient pas à la même école que M. Khamassi, il n’a pas été formé à l’école Rcédiste et n’est donc pas malléable à son goût, il ne lui sert pas ses desseins politiques. Toutefois, sentant que le vent tourne, que le mandat de Béji Caïd Essebsi vit ses derniers mois et que Hafedh est fini (la date de validité de la carrière politique de Hafedh arrive à son terme avec la fin de celle de son père), M. Khamassi ne voulant pas insulter l’avenir et voulant toujours être proche du pouvoir et de ses détenteurs, son leitmotiv de toujours, décide aujourd’hui de rallier Youssef Chahed qui devrait s’en méfier au passage. Il devrait s’en méfier non pas que M. Khamassi porte la poisse mais que si demain un autre favori prenne place au soleil, Raouf Khamassi le laissera tomber et ira sans hésiter une seule seconde chez le nouveau champion.
Appelez cela de «l’opportunisme professionnel» ou «girouette rcédiste» bilingue parlant l’arabe et l’allemand, c’est votre affaire mais pour Raouf Khamassi, c’est son leitmotiv, son style si vous voulez. Le pouvoir, le pouvoir, toujours le pouvoir…
* Juriste.
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