La Tunisie n’est pas sortie de la dictature; elle y est toujours; mais sous une nouvelle dénomination. C’est la dictature de la banque et du capital, dans le cadre d’une alliance privilégiée de l’Occident avec les islamistes locaux, un capitalislamisme sauvage.
Par Farhat Othman *
Il est faux de continuer de parler de démocratie et surtout de l’opposer à la dictature. On l’a vu déjà en Tunisie et ailleurs avec les dictatures militaires; elles ne tenaient que par le soutien des démocraties occidentales et elles ont chuté aussitôt que ce soutien leur a manqué.
Au vrai, la démocratie chez nous se veut en une adaptation de la dictature — qui ne dit pas son nom — ayant cours en Occident, et qui use de tous les ingrédients, y compris du mythe de la démocratie, pour imposer son pouvoir absolu sur les esprits. Car il n’est pas de véritable démocratie en Occident au sens du pouvoir réel du peuple; au mieux, on y trouve ce qu’on a appelé une démocratie d’élevage. C’est-à-dire un régime qui entretient une bergerie où les citoyens sont des moutons ne servant qu’à faire marcher un système aux mains du seul pouvoir qui compte, celui de l’argent; donc le pouvoir de la banque reine.
Démocratie et dictature
En tant que pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, la démocratie est bel et bien un mythe, une vue de l’esprit. Elle n’a jamais existé, même pas en Grèce plus habituée à la dictature de l’argent et des armes. Au vrai, le pouvoir du peuple (cratie) a toujours été délégué à une minorité gouvernante, soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire des riches. C’est le pouvoir supposé se faire au nom du peuple et non par lui exercé qui est la démocratie, alors que la dictature est ce même pouvoir qui n’est ni issu du peuple ni ne s’en revendique. Ce qui ne veut pas dire qu’il soit plus illimité ou moins respectueux du peuple que le premier.
En effet, longtemps, la dictature a eu pour fondement Dieu, notamment dans les monarchies de droit divin; or, elle n’a pas été nécessairement sans limites, le droit issu de Dieu imposant des devoirs au monarque dictateur par l’intermédiaire des autres représentants de ce même Dieu, ses serviteurs religieux.
Il y a avait donc bien du pluralisme et une possibilité que le pouvoir arrête le pouvoir au sein des dictatures de droit divin. Ce qui n’est pas le cas des dictatures supposées détenir le pouvoir du peuple, non du souverain Dieu, devenant ce monstre au pouvoir exorbitant que le Léviathan.
Ce fut le cas de notre dictature, et c’est bien la réalité, actuellement, de l’Occident que nous avons pour modèle, où le dieu métaphysique a été remplacé par un dieu matériel, Mammon, le pouvoir de l’argent.
Fausse démocratie d’Occident
On parle à tort de la démocratie en Occident; ce qui n’est vrai qu’au sens de moins mauvais régime politique, ce qui ne veut pas dire le meilleur. Cela vient du fait que le régime politique occidental se présente sous des dehors pluralistes du fait de l’existence de structures et de mécanismes; or, ceux-ci ne servent vraiment un tel pluralisme que s’ils sont mis en œuvre, ce qui n’est pas toujours le cas. On le voit avec ce que vit la France éclaboussée de scandales mettant en évidence la monarchisation du pouvoir.
Cela fait que la démocratie, quand bien même elle se présente en État de droit, peut être trouée d’illégalités. D’où une dictature masquée dont on prend conscience quand on réalise que le pouvoir du peuple ne se manifeste que lors des élections pour disparaître tout de suite après. Et même lors de telles élections, ce pouvoir peut être manipulé par diverses techniques plus sophistiquées les unes que les autres pour déposséder les masses de tout pouvoir effectif, étant amenées à agir selon une orientation précise, un conditionnement.
C’est bien le pouvoir de l’argent qui est roi en un Occident devenu matérialiste à l’excès, et ce du fait même de son système politique capitalistique. Ce qui importe aujourd’hui en Occident, c’est moins la culture de ses propres valeurs et leur préservation que de la plus-value financière que tout doit générer. Cela l’a même poussé à se passer de religion ou à l’adapter à son système capitaliste, désenchantant du coup son univers et le monde qu’il domine.
Ce qui amené, dans les meilleurs des cas, à ce qu’on a appelé une démocratie d’élevage où les citoyens sont conditionnés afin d’être juste bons pour un comportement prévu d’avance, apprivoisés en quelque sorte. Certes, en un tel environnement, les droits et libertés individuels sont pour la plupart garantis, mais c’est moins du fait du régime démocratique lui-même que comme issue des luttes populaires ayant nécessité d’énormes sacrifices.
C’est ce qu’on essaye d’importer chez nous où, au mieux, l’on ne peut avoir qu’une démocratie sauvage, une lutte pour plus de droits et de libertés nécessitant donc de terribles sacrifices, car par définition ils sont refusés par le pouvoir en place qui est toujours celui d’une minorité soucieuse de ses privilèges, dépendant de ceux des privilégiés d’Occident la soutenant pour leurs propres intérêts.
Nouvelle dictature en Tunisie
Il est vrai, en Tunisie, on n’a même pas encore un État de droit, condition sine qua non d’émergence du pluralisme. Dans le meilleur des cas, on a un État de similidroit, une hypocrisie de légalité dans le cadre de contraintes légales scélérates.
Nonobstant, l’on n’a pas moins, dans la société, hors des cercles du pouvoir coupé des masses, une sorte de pluralisme informe sous l’apparence de tiraillements sociaux et idéologiques, générés par l’absence de structures qui y soient dédiées; c’est ce qu’on qualifierait de puissance sociétale (archie opposée à la cratie susmentionnée).
Cette puissance informelle est une anarchie, comme une démocratie sauvage, la seule de nature à faire échapper la société au diktat du modèle capitalistique qu’on veut imposer au pays, espérer donc faire bouger un peu les choses. C’est lent et long comme processus, car ciblant tant le niveau légal que les mentalités d’élites qui sont bien en retard par rapport à l’état réel psychosociologique d’un peuple libertaire dans l’âme, même si cela n’est pas évident, ayant lieu dans la plus totale anarchie. Or, il vaut mieux une anarchie, pouvoir de tous, qu’un ordre au profit d’une minorité.
On le voit bien avec les manifestations du vécu de l’islam dans le pays, et qui est à des années-lumière aussi bien de l’islam officiel que de celui des minorités intégristes qui n’ont que l’agitation et la provocation pour faire parler d’elles, car elles ne représentent rien dans la société, étant une poignée d’agités dont on a peur pour sa sécurité. Cela a justifié, au demeurant, l’alliance de ces milieux supposés islamistes avec le grand capital étranger pour lui livrer le pays, transformé en un marché pour ses affaires, contre le feu vert d’islamiser une société rétive pourtant par nature à tout intégrisme.
C’est ce qui se passe actuellement en Tunisie où le meilleur ennemi des droits et des libertés des citoyens ne sont pas seulement les intégristes religieux, mais aussi leurs complices objectifs parmi les militants occidentalocentristes qui ne réalisent pas être le jouet de l’Occident en appliquant dans le pays sa stratégie laïciste n’ayant pas de prise sur la société, condamnée donc d’avance à l’échec. Ce qui n’est pas pour étonner, cette stratégie étant celle du soutien indéfectible des intégristes, cet Occident qui les a placés au pouvoir et tenant à les y maintenir au service de ses intérêts mercantiles.
Contrer la dictature en Tunisie
Comme on le voit bien en Occident où la dictature de l’impérialisme use de la démocratie faussée pour étendre son pouvoir dans le monde, l’on s’adonne au même jeu malsain en Tunisie. En effet, cet Occident qui est supposé aider la transition démocratique du pays sert juste ses intérêts de concert avec les islamistes dans le cadre d’une alliance privilégiée avec eux, un capitalislamisme sauvage.
Au mieux, ce que les deux cherchent à installer en Tunisie, ce n’est qu’une basse-cour où l’on élève de supposés citoyens, de bons clients pour le pouvoir de la banque alliée au pouvoir des salafistes. Toutefois, contrairement à l’Occident, on ne veille même pas à ce que la volaille qu’on élève se sente libre, que les asservis aient une certaine marge de manœuvre dans leur vie privée pour ne vaquer qu’à leurs affaires propres; comment le feraient-ils, d’ailleurs, puisqu’ils n’ont même pas de vie privée ?
Ainsi, on singe un Occident en partie seulement, juste dans ce qu’il a de pire, nos citoyens n’ayant même pas le droit d’être comme les siens qui, s’ils sont semblables aux reclus de la caverne du philosophe, croyant réalité les ombres sur les parois du mur, ne sont pas moins libres de leur mouvement dans cette caverne, pouvant aussi en sortir, aller et venir librement. Cela n’est point reconnu aux Tunisiens, car les gourous financiers mondiaux, alliés à nos gourous religieux nationaux, veulent en Tunisie non seulement l’argent, mais son beurre aussi qui consiste à intoxiquer les masses avec l’opium de la lecture intégriste de l’islam faite par leurs alliés.
Ils savent pourtant devoir soit payer leur beurre soit avoir leur argent et laisser le beurre à ses producteurs. Ce qui veut dire que le capital mondial, s’il veut s’installer durablement en Tunisie, ne doit pas se désintéresser de la cause des droits et libertés de son peuple et imposer plutôt à ses alliés d’y agir activement, notamment et pour commencer dans le domaine de la vie privée, car cela ne remet nullement en cause ses intérêts. C’est même bien mieux pour elles, les affaires ne prospérant vraiment que dans un climat de paix et de sérénité. Ce qui est synonyme de libre vie privée avec tous les droits y afférents.
* Ancien diplomate, écrivain.
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