L’imposition des caractères arabes pour les enseignes commerciales à Tunis est une nouvelle manœuvre des conservateurs qui imposent sournoisement leurs dogmes identitaires en les étendant à tous les organes et rouages de l’Etat.
Par Mohamed Sadok Lejri *
Un membre du conseil municipal à la municipalité de Tunis dénommé Ahmed Bouazzi a annoncé, hier, jeudi 3 janvier 2019, sur sa page Facebook, que, conformément à l’article 39 de la constitution, les commerçants seront désormais contraints de rédiger leurs enseignes en arabe sous peine de sanctions financières.
Cette décision n’est pas politique, il s’agit d’une idéologie arabo-mortifère distillée insidieusement depuis plusieurs décennies et de conservateurs qui imposent sournoisement leurs dogmes identitaires en les étendant à tous les organes et rouages de l’Etat.
Les francophones sont imperméables à l’intégrisme religieux
Pour défendre le français en Tunisie (ou sa survie), au lieu d’invoquer les impératifs liés au tourisme et se cacher lâchement derrière les communautés étrangères qui résident en Tunisie, il faut revendiquer ouvertement sa francophonie et l’assumer sans le moindre complexe.
Si les Tunisiens francophones restent constants dans leur veulerie, le français sera voué à disparaître de ce pays. Nos francophones ont toujours été timorés et n’ont jamais assumé ouvertement leur francophonie, tandis que les défenseurs de l’arabisation tous azimuts sont batailleurs et vindicatifs.
En Tunisie, cette question de langue s’invite régulièrement dans les débats. Elle reflète les valeurs (manifestes ou latentes) auxquelles adhère tout un chacun et qui sont susceptibles d’orienter la société de demain.
Il faut comprendre que le rêve inavoué des islamistes et des arabisants hostiles à la langue française a toujours été de saper la langue et la culture françaises, héritage de la France et de Bourguiba, lequel héritage a permis à la majorité des Tunisiens d’être imperméables à l’intégrisme religieux. La langue française dérange parce qu’elle véhicule des valeurs humanistes fondées sur l’examen critique, le doute, le rejet du charlatanisme des religions, la laïcité, la tolérance et l’Etat de droit.
L’arabisation est la clé de voûte de leur politique pour la Tunisie, alors que l’arabisme est devenu un catalyseur des frustrations et des complexes qui rongent le monde arabe. Il est à douter que l’arabisation soit un antidote au mal qui ronge notre population et qu’il puisse la propulser au rang de pays développé.
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Ne plus craindre d’être traités de «vendus à la France»
Il faut faire de la résistance de façon plus manifeste et ne plus craindre d’être traités de «vendus à la France», d’«orphelins de la France», de «nostalgiques du colonialisme». Il ne faut pas craindre de déclencher le courroux des imbéciles et des obtus unilingues en nous montrant plus explicites et revendicateurs.
Nous considérons le français comme notre langue, au même titre que le Tunisien, et nous faisons une dissociation pure et simple entre la langue française et la France. La langue française appartient aux Tunisiens francophones autant qu’aux Français. Nous devons assumer notre passion pour la langue française sans le moindre complexe et ne plus tempérer systématiquement nos positions et nos choix (choix de la langue utilisée) par des justifications oiseuses pour ne pas heurter la susceptibilité des défenseurs de l’«authenticité arabo-musulmane» de la Tunisie. Eux, étant dans leur «bon droit», ne s’embarrassent pas de ce genre de scrupules.
La langue française doit être reconnue comme une composante essentielle de notre identité, sinon elle aura de fortes chances d’être réduite à néant d’ici quelques années.
* Universitaire.
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