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La Tunisie du noir au gris : Paradis fiscaux, financement du terrorisme et cyber-sécurité

Global Cybersecurity Index 2018 : La Tunisie (27e) classée dans la seconde moitié du tableau.

La Tunisie n’est pas encore sortie d’affaire en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme qu’elle se trouve confrontée à un nouveau défi : la garantie de se la sécurité de ses systèmes informatiques.

Par Yassine Essid

Pour un pauvre hère, un monde idéal serait celui où il n’y aurait plus besoin de travailler et dans lequel les revenus de chacun seraient assurés par la magie d’une redistribution sociale lui permettant d’assurer son bien-être et de s’investir dans les loisirs de son choix.

Pour le capital international, le monde idéal est celui de la libre circulation et de la réduction des coûts. En d’autres termes, un monde qui érige en valeur essentielle la poursuite du profit sur une voie où n’interfère aucun autre concurrent, où ne s’imposent ni lois ni contraintes qui viendraient à mettre à risque le profit des investisseurs.

Tels sont, tout du moins, les principaux objectifs des détenteurs de fortunes qui cherchent comment fructifier leur argent et sont constamment dans l’attente fébrile des retours sur investissement.

Ils débarquent alors dans tel ou tel pays, prospectent, parlent d’opportunités et de débouchés, voire de partenariat. Ils sont spécialisés dans la fabrication des produits divers tels que le plastique, le textile, la transformation agro-alimentaire et l’électronique dont la plupart sont destinés à la vente à l’étranger. Ils s’intéressent surtout à l’immobilier et au tourisme, eux secteurs qui permettent d’introduire des fonds à blanchir dans le système financier, de les recycler en quelque sorte pour réintroduire les sommes blanchies dans le circuit légal.

La corruption est une vieille «tradition» en Tunisie

Mais n’allons pas trop vite. Ordinairement, le pays qui voudrait profiter des IDE est tenu de mettre à la disposition des investisseurs toute une série de mesures incitatives qui puisse rendre leur installation profitable. Parmi celles-ci, la stabilité politique, quelle que soit par ailleurs la nature du régime en place, la paix sociale, la sécurité, une infrastructure développée, une productivité élevée de la main-d’œuvre locale, des bas salaires, des charges sociales moins élevées, la disponibilité des compétences, la proximité des marchés et des sources d’approvisionnent, des coûts de transport et des frais de douane pas trop contraignants, une fiscalité privilégiée, la liberté de ne pas réinvestir leurs bénéfices sur place et, pour certains secteurs, une réglementation bienveillante qui accorde peu d’égards pour la gestion des externalités, notamment environnementales. Il faut également que ces nations, qui aspirent à revigorer leur économie, aient démontré qu’elles sont sur la voie de la bonne gouvernance, présentent des signes évidents d’une croissance qui viendraient bousculer leur équilibre précaire.

Répondre à ce protocole balaiera certes les inquiétudes des investisseurs et assurera au pays d’accueil un afflux de capitaux que leurs détenteurs n’aspirent qu’à fructifier. Cependant, dans la mesure où les marchés des biens et des capitaux sont devenus une modalité de la déréglementation mondialisée, d’autres critères entrent en jeu et prennent le pas sur le reste. Voilà que l’on exige des pays bénéficiaires d’IDE de faire preuve de transparence, autrement dit de lutter contre la corruption des gouvernements et des institutions financières désormais mondialisées. Une réalité traduite suivant les indices de corruption, relevés Etat par Etat, publiés régulièrement par des ONGs qui se placent en observateurs du fonctionnement démocratique des institutions nationales et du respect de l’Etat de droit en émettant des avis sur les politiques en vigueur.

Les experts étrangers avaient reconnu depuis bien longtemps que la corruption n’est pas nouvelle en Tunisie, qu’elle avait même atteint de larges segments de l’économie contrôlés par la «famille Trabelsi» devenue un passage obligé pour tout investisseur potentiel et qui a fini par représenter dans l’esprit de tous les Tunisiens la corruption incarnée.

Une coupable bienveillance collective

Or, comme il arrive souvent dans les périodes de transition politique, le changement n’a pas été immédiat après la chute du régime. Des fonctionnaires notoirement corrompus avaient bien été démis de leurs fonctions au cours des premières semaines de 2011 et remplacés par des cadres jugés intègres. Cependant, le classement de la Tunisie en matière de corruption n’a pas connu d’amélioration notable. Selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International la Tunisie, classé 59e sur les 178 pays recensés en 2010, était passée 73e en 2011, 79e en 2013, pour finir au 75e rang en 2016. La corruption avait bien connu un début d’éradication au sommet, mais s’est propagée et a fait système à une échelle inférieure.

On aurait pensé en effet, qu’avec l’avènement de la démocratie, autrement dit la liberté de dénoncer, de juger et de condamner de telles pratiques tout en veillant au respect de la bonne conduite économique, serait autrement plus aisée. Tout le contraire ! Il faut dire que, pendant des années, les gouvernements successifs s’en sont donnés à cœur joie dans la distribution de couleuvres à avaler bouche bée. Pour eux, associations religieuses d’obédience jihadistes aux ressources occultes, fonctionnaires véreux, entrepreneurs corrompus, politiciens malhonnêtes, clientélisme tous azimuts n’existaient tout simplement pas. La lutte contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent, la corruption et le financement du terrorisme ne suscitaient qu’indifférence voire une coupable bienveillance collective.

La corruption croissante était devenue le cauchemar quotidien pour les Tunisiens ordinaires, dans un Etat particulièrement affaibli, créant un ressentiment tel qu’elle avait fini par déclencher des manifestations de rues, telles celles organisées par le mouvement Manîsh Msâmeh contre un projet de loi de réconciliation économique proposé le 13 mai 2017 aussitôt retiré.

Quant à la guerre menée par le chef du gouvernement Youssef Chahed contre la corruption, seul emblème de son programme politique et qui a contribué à sa popularité, elle a été suffisamment torpillée pour qu’on en parle plus.
Le 6 décembre 2017, l’UE inclut la Tunisie dans sa liste noire des «paradis fiscaux», en raison des déficiences de son système bancaire à tracer l’origine de fonds, ainsi que de leurs bénéficiaires effectifs. Une décision qualifiée alors d’injuste, hâtive et unilatérale. Certains avaient, et à juste titre, attribué au gouvernement de la « Troïka » (l’ancienne coalition conduite par le parti islamiste Ennahdha) cet affront qui aurait outragé la dignité du pays !

Le 11 décembre 2018, le chef d’Etat français, Emmanuel Macron, ainsi que la présidente du FMI, Christine Lagarde, s’engagent à aider à retirer la Tunisie de la liste noire. Le 23 janvier 2019, sans disparaître complètement, la Tunisie est placée dans une liste dite «grise», une sorte de purgatoire entre l’enfer et le paradis. Plus prosaïquement, une catégorie distincte de pays soumis à un suivi étroit dans l’attente de la concrétisation des leurs engagements en matière de justice fiscale, de croissance et d’emploi.

Entre le noir de la souffrance et le gris de l’espoir

Curieusement, on découvre en Chine le choix de la couleur grise servant à qualifier les revenus dissimulés échappant complètement aux statistiques nationales. Dans le champ symbolique, entre le noir, qui reste pour nous l’emblème majeur de la souffrance, et le blanc immaculé, celui de la pureté, se situe la variation du gris de l’espoir, une sorte de demi-deuil qui, sans être associé à l’allégresse demeure, par référence au noir, marqué d’un signe positif. En tous les cas, c’est ainsi que l’entendait le gouvernement qui était rassuré sur la capacité de la Tunisie à effacer définitivement cette humiliation.

Le mercredi 7 février 2019, et après avoir été ajoutée puis retirée de la liste noire des paradis fiscaux de l’Union Européenne, la Tunisie réapparaît sur une liste de la Commission européenne des pays «susceptibles d’être fortement exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme» au même titre que le Sri Lanka et Trinité-et-Tobago. Un camouflet aisément compréhensible au vu des déboires du gouvernement qui a manqué à ses engagements pour améliorer ses dispositifs en la matière, autant qu’à l’insuffisance de la déplorable gestion du dossier par une diplomatie qui croit encore fermement aux apaisants effets des boîtes de dattes et des bouteilles d’huile d’olive tunisiennes offertes en cadeaux aux députés européens.

Le pays, qui traînait les pieds, est rejugé à haut risques et non coopératif, n’ayant jamais démontré une grande détermination à mettre en œuvre, et de manière urgente, le plan d’action de l’UE développé conjointement avec le Groupe d’action financière (Gafi). Il retrouve le 13 février 2019 sa place, encore vacante, sur la liste noire des pays de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Un statut peu glorieux de récidiviste qui ne manquera pas d’affecter négativement le climat des affaires dans le pays.

La cyber-sécurité en question

Cependant, un malheur n’arrive jamais seul. Une fois le pays sorti d’affaire en matière de blanchiment d’argent et de corruption, il se retrouvera immanquablement confronté à un phénomène nouveau de plus en plus inquiétant : la sécurité des systèmes informatiques.

Avec le développement des TIC et la rapide croissance de la communauté des internautes partout dans monde, les problèmes liés à la sécurité dans le cyberespace ont acquis une importance plus que capitale pour les Gouvernements, les dirigeants d’entreprises du secteur public et privé et les organisations de la société civile. Cependant, le secteur privé reste le plus exposé à la cyber-délinquance, car générateur de ressources financières colossales.

Quand bien même ces entreprises prestataires de services en ligne disposent de moyens de sécurité adéquats, elles n’en demeurent pas moins tributaires de l’état des technologies de protection contre les cyber-attaques. C’est là un critère supplémentaire dont tiennent compte désormais les investisseurs dans leur sélection du pays d’accueil.

Étant donné qu’une grande partie des informations, y compris les données personnelles, sont de plus en plus disponibles en ligne, se pose la question cruciale de la cyber-sécurité. Personne n’est à l’abri, de même qu’aucune parade n’est infaillible. Sur 60 pays étudiés, on a relevé de larges écarts aussi bien en termes de taux d’incursions malveillantes qu’en termes de lois rigoureuses strictement appliquées pour assurer la protection nécessaire contrer les attaques en ligne et réprimer les cyber-délinquants.

Là où la cyber-sécurité est jugée la plus défaillante, sept critères d’égale importance sont retenus :

• le pourcentage des téléphones mobiles infectés par des logiciels malveillants conçus pour obtenir un accès non autorisé au système, le détruire ou en perturber le fonctionnement ;

• le pourcentage d’ordinateurs infectés par des logiciels conçus pour obtenir un accès non autorisé au système d’un ordinateur, le détruire ou le dérégler ;

• le nombre d’attaques par des logiciels malveillants financiers, conçus pour prélever de l’argent du compte bancaire d’un particulier ;

• le pourcentage d’attaques par Telnet. La technique utilisée par les cybercriminels, par cracking ou spoofing, pour amener le public à télécharger divers types de logiciels malveillants ;

• le pourcentage d’attaques par Cookie-Miner, un logiciel à haut risque qui cible le système d’exploitation. Une fois l’infiltration réussie, le Cookie-Miner commence à collecter diverses données personnelles. Son objectif principal est de voler les informations d’identification de divers comptes (principalement ceux liés à la crypto-monnaie);

• les pays les mieux préparés aux cyber-attaques ;

• les pays dotés de lois récentes.

Mis à part les deux derniers critères, tous les scores présentés par l’étude sont basés sur le pourcentage d’attaques enregistrées en 2018. En fait, il en ressort qu’il n’existerait pas de pays totalement à l’abri ni de pays ultraperformant remplissant tous les critères de la sécurité des systèmes d’information. Par conséquent, il n’existerait pas un pays qui figurerait en tête de liste à tous les niveaux. Tous les pays analysés sont appelés à apporter des améliorations significatives dans un domaine plutôt que dans un autre.

Les pays les mieux préparés pour contrer les cyber-attaques ont été marqués à l’aide des scores du Global Cybersecurity Index (GCI). Ils ont été notés sur la base de la législation en vigueur ou en projet couvrant sept catégories (stratégie nationale, armée, contenu, vie privée, infrastructures critiques, commerce et criminalité).

Les pays ont reçu un point pour avoir une législation dans une catégorie ou un demi-point lorsqu’il s’agit d’un projet de loi.

Le score total a été obtenu par la moyenne des scores de chaque pays dans les sept catégories énoncées.
Quel est alors le pays le plus vulnérable au monde en matière de cyber-sécurité? C’est l’Algérie (score total : 55.75). Un classement qu’il doit à l’absence de législation en la matière, au nombre élevé de logiciels malveillants dans la catégorie des systèmes de téléphonie mobile ainsi que par sa faible capacité de protection contre les cyber-attaques.

Et quel est le pays le plus cyber-sécurisé au monde? C’est le Japon (score total 8.81) qui a atteint des niveaux incroyablement bas dans la majorité des catégories, tout en ayant un score légèrement supérieur dans la préparation aux cyber-attaques et dans les catégories relative au dispositif juridique.

Pour finir, la Tunisie est classée 27e avec un score total de 35.54 mais souffre de la faiblesse du dispositif légal (1 point pour l’Algérie et 3 pour la Tunisie).

Alors ? Algérie ou Japon ? À vous de voir.

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