La campagne électorale pour le premier tour de la présidentielle anticipée, dimanche prochain, 15 septembre 2019, divise la famille dite démocratique progressiste, qui se découvre soudain un leader fantoche et, ce faisant, se tire une balle dans le pied.
Par Salah El-Gharbi *
À l’approche à quelques mètres de la ligne de l’arrivée, une certaine fébrilité s’empare de tout le monde. Alors qu’au sein des comités de campagne, on continue à se démener, allant à la chasse des indécis, essayant de vaincre la résistance des sceptiques, tout en affûtant la détermination des convaincus, sur les réseaux sociaux, les manœuvres battent leur train parfois avec brutalité et un certain cynisme inquiétant, et les communautés de circonstance voient le jour en vue de soutenir leurs candidats ou de chercher à délégitimer leurs concurrents les plus immédiats.
La guerre est féroce et, désormais, tous les moyens qui pourraient faire mal à l’adversaire seraient, pour beaucoup, légitimes. La caricature, l’invective, la publication de faux sondages susceptibles d’orienter le vote, les rumeurs qu’on amplifie sont autant d’armes mis au service de l’heureux élu de notre cœur ou du triomphe de ce qu’on croit être utile pour le pays.
Cependant, cette ambiance tendue qui serait banale pour des élections ouvertes et démocratiques, nous paraît déroutante surtout lorsque les cartes s’embrouillent et qu’on va, chaque jour, de découverte en découverte et de surprise en surprise.
Zbidi, l’idole inattendue d’une élite soucieuse de préserver le système
En effet, si les enjeux des élections de 2014 étaient clairs offrant une seule alternative assez claire, celles de 2019 nous plonge dans un univers kafkaïen où, à titre d’exemple, des militants supposés de gauche, et qui n’avaient jamais porté dans leurs cœurs Béji Caïd Essebsi, font, désormais, activement campagne pour son ombre, en l’occurrence, Abdelkarim Zbidi.
La soudaine inclination de cette race de «progressistes bien-pensants» pour un tel personnage dont le parcours «politique» est d’une affligeante banalité, devenu la coqueluche de ceux qui se gargarisent de slogans «anti- ancien monde», dément tous les pronostics et dépasse l’entendement. D’ailleurs, il suffit de voir l’entourage de l’homme, réunissant la lie amère de Nidaa, pour bien en apprécier la véritable qualité.
Comme par miracle, l’homme émoussé, sans colonne vertébrale, réduit à une sorte d’hologramme, se retrouve, désormais, affublé de toutes qualités possibles. Il serait «sincère», «droit», «honnête»… Certains mêmes lui prêtent une certaine «noblesse». Des «leaders d’opinion» connus pour leur impertinence ne jurent plus que par le sacro-saint «Zbidi». Et comme le délire ne suffit pas, on passe à l’«argumentation», une autre manière de valider l’incongru. Et le voilà un leader d’un «parti» qui vient exhorter, «les candidats de la famille progressiste et moderniste de se retirer et de soutenir officiellement Zbidi, afin d’augmenter les chances de ce dernier donné troisième», dans un de ces multiples prétendus sondages.
Youssef Chahed, l’homme à abattre qu’on accable de tous les maux
Ce que ces «progressistes modernistes» omettent de dire, c’est que cette idylle naissante avec Zbidi dissimulerait, en réalité, un réel et mystérieux dépit à l’égard de Youssef Chahed qui serait «l’homme à abattre». Et si ces gens tentent laborieusement de trouver des qualités insoupçonnées au candidat de Caïd Essebi, ce serait uniquement pour narguer l’actuel chef du gouvernement qu’on charge sans merci et qu’on accable de tous les maux.
Autant il serait compréhensible que les candidats populistes ou d’extrême gauche, fébriles, s’acharnent contre Chahed, autant on a du mal à saisir comment ces «progressistes» peuvent se leurrer en s’attaquant à quelqu’un qui aurait pu être l’un des leurs, vue la proximité idéologique qui les rapprochait de lui. Mais l’amertume est là depuis la défection de Samir Taïeb, rejoignant le gouvernement (supposé être sous la houlette de Caïd Essebsi dont Zribi tire, aujourd’hui, sa légitimité, rappelons-le). Cela aurait dû semer le trouble, susciter des envies mais aussi attiser une sorte d’angoisse quant à l’avenir de ce petit club politique, par ailleurs sympathique.
En somme, quelle que soit l’issue des élections, ces «progressistes modernistes» qui se pressent de soutenir Zribi, ne sortiraient pas gagnants. Même avec une victoire, qui reste peu probable, de ce dernier, ils auraient contribué à retarder la réelle révolution politique que tout le pays attend, à faire perdurer le calamiteux passage de Béji Caïd Essebsi à Carthage, pis encore, à faire entrer le pays dans l’inconnu.
Car, avec un président fantoche, tout serait compromis, aussi bien la stabilité politique que la réussite de la transition démocratique. Les seuls gagnants seraient tous ceux qui cherchent à nous tirer vers l’arrière, nous ramener vers un temps qu’on croyait révolu.
Si Béji, à son insu et par son absence de lucidité politique, avait ouvert le chemin à Abir Moussi, la fragilité de Zbidi élu président, risquerait d’accentuer la confusion dans laquelle on patauge.
* Universitaire et écrivain.
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