On peut faire table rase sur les méfaits fiscaux de Nabil Karoui et son présumé blanchiment d’argent du moment où il trouve, dans la légalité, un compromis avec les services compétents. Cependant, il serait très difficile de faire table rase à propos de ses magouilles à l’encontre du dirigeant d’I Watch; cela n’est aucunement digne d’un présidentiable et a fortiori d’un président.
Par Ali Bouaziz *
Depuis son incarcération pour blanchiment d’argent et évasion fiscale, le 23 août 2019, les déboires judiciaires de Nabil Karoui continuent leur bonhomme de chemin. Le 3 septembre, la Cour d’appel de Tunis a refusé une demande de sa libération. Le 13 septembre, la Cour de cassation a refusé sa libération après une demande déposée par ses avocats afin de statuer sur le mandat de dépôt émis par la chambre d’accusation. Le 18 septembre, le juge d’instruction du Pôle judiciaire économique et financier a refusé de se saisir de la demande de sa remise en liberté provisoire. L’inspection ad hoc diligentée par le ministère de la Justice a donné raison aux juges quant à la conformité des procédures le concernant. Le 1er octobre, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Tunis refuse sa mise en liberté.
La république des juges est préférable à une république bananière
Après l’écroulement de toutes ses tentatives, il m’est difficile de croire que le candidat Karoui est en odeur de sainteté. Certains peuvent parler de la république des juges, moi, je la préfère à une république bananière vermoulue par la mafia.
Une manipulation à gros moyens et mise en place pour orienter les électeurs vers un vote pour Nabil Karoui au second tour de l’élection présidentielle, elle est vertement anti Saïd. À côté de la propagande assourdissante véhiculée par sa propre chaîne Nessma et des macaronis qu’il distribue sous l’œil des caméras voyeuristes, il a bénéficié et il bénéficie encore de coups de pouce occultes assénés bêtement sur Facebook et via des chaînes de télévision et des journaux électroniques, les meilleurs outils de la propagande manipulatrice des petites gens.
Les leitmotivs prônés sont essentiellement cinq qui tentent à le dédouaner de tout méfait.
Primo, Nabil Karoui est l’objet d’un acharnement judiciaire téléguidé par le pouvoir en place, ce qu’aucun n’a de preuves tangibles l’établissant.
Secundo, le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale ne sont pas l’apanage de Nabil Karoui, ils sont partagés par tous les Tunisiens, ce qui est faux; d’ailleurs même si cela est vrai, il n’est point acceptable de quelqu’un qui se dit prêt à accéder à la magistrature suprême; un adage arabe dit : «Si le père de famille joue au tambourin, n’accable point ses enfants qui font du vacarme.»
Tertio, la chaîne Nessma qui l’encense à longueur de journée et qui dénigre son adversaire Kaïs Saïd par des procédés goebbelsiens n’est pas sa propriété personnelle; qu’aurions-nous enduré, donc, si elle lui appartenait?
Quarto, ces écarts de langage et ses invectives contre le leader d’I Watch et le guet-apens qu’il a tramé de lui tendre sont à mettre sur le compte du courroux, alors qu’ils n’excèdent point les réflexes d’un bandit de bas étage qui s’est arrogé la garde d’un parking non payant.
Quinto, le passé bling bling du candidat Karoui est à mettre sur les erreurs de jeunesse; oui pour un homme d’affaires apolitique, jamais pour un candidat à l’exemplarité suprême.
Les Trabelsia jouaient à couvert alors que Nabil Karoui joue à découvert
Malgré tous ces griefs, il trouve des encenseurs; comme quoi la subornation ne se résout pas à la tante Mbarka qui l’enlace après avoir pris sa dose alimentaire; ici, je ne dénigre point les gens, qui dans la nécessité, acceptent de recevoir des dons de bienfaiteurs ou de soi-disant bienfaiteurs, mais je refuse qu’ils acceptent d’être filmés pour la vile propagande pour qui que ce soit. Toujours est-il que la vénalité est plus remarquable pour quelques leaders de l’establishment qui aussi, sans vergogne, l’enlace, l’encense et le glorifie après avoir pris leur dose en numéraire ou ils attendent d’en recevoir.
Nabil Karoui qui pratiqua l’adage arabe «Enrichissez-vous de votre halal et de votre haram», s’il est élu président, on pourra dire tout ça pour ça. Ne valait-il pas donc laisser Ben Ali en place où il y a eu un semblant d’État, inexistant maintenant ? Ne valait-il pas laisser en place les Trabelsia qui jouaient à couvert alors qu’avec Nabil Karoui on joue à découvert? Ne fallait-il pas préserver la vie de centaines de martyrs de ladite Révolution? Ne fallait-il pas faire l’économie de l’effondrement économique de la classe moyenne tunisienne? Ne fallait-il pas épargner la jeunesse de faux espoirs?
Imaginons un conseil des ministres sur l’évasion fiscale… présidé par Karoui
Le scénario ubuesque suivant est à prendre en considération. Nabil Karoui président présidant un conseil des ministres où on discutera de l’évasion fiscale, du transfert illicite de fond vers l’étranger, vers des banques européennes spécialement luxembourgeoises, où on discutera des moyens illégaux de police parallèle avec filature sauvage, subornation de témoins et fabrication de fausses preuves.
Avec toutes ses casseroles pourra-t-il représenter le pays à l’étranger? A-t-il les mains libres pour défendre les intérêts du pays? Saura-t-il s’affranchir de toute velléité de chantage lié à quelques cadavres qu’il pourrait cacher dans les placards? Ses décisions défendent-elles ses intérêts, les intérêts de ses amis, les intérêts des amis de ses amis ou les intérêts du pays?
Avant la lettre, Nabil Karoui est adepte de la sentence «l’État c’est moi», formule attribuée au Roi Soleil Louis XIV, toutes ses actions et tous ses réflexes trahissent ses propensions à faire fi des lois de la République comme s’il n’en est aucunement redevable ou justiciable.
Sans programme de gouvernement, usant parfaitement de l’antique recette du pain (les macaronis) et du cirque (Nessma), il a bien construit une clientèle qui a vu s’agglutiner tout autour des rapaces politiques sans foi ni loi, certains sont notoires tels ceux qu’on trouve têtes de liste de Qalb Tounes, d’autres, avançant plus ou moins masqués, ont surpris plus d’un, tels un éditeur, un ancien ministre ou un rédacteur en chef d’un journal électronique.
Messieurs, mesdames les thuriféraires de Nabil Karoui, je ne suis pas en train de publier un récit à charge, je ne participe aucunement à une chasse à l’homme; ce qui suit le prouve.
On peut faire table rase sur ses méfaits fiscaux et son présumé blanchiment d’argent du moment où il trouve, dans la légalité, un compromis avec les services compétents. Cependant, il serait vraiment ardu de faire table rase à propos de ses magouilles à l’encontre du leader d’I Watch; cela n’est aucunement digne d’un présidentiable et a fortiori d’un président. Il faut qu’il donne du temps au temps pour nous le faire oublier.
Nabil karoui est un self-made man qui force l’admiration. Il a tout l’avenir devant lui; avant cela il doit passer par le purgatoire, il doit se délester, le mieux volontairement, de tous les relents du mauvais garçon. Il devra donner l’exemple de l’homme d’affaires respectant les lois de la République. Un communicateur hors pair, ayant du peps, il aura toute l’énergie pour rebondir à tout moment. Mais, Président dans cet état des choses est contre-productif pour lui et grandement nuisible pour les intérêts du pays.
* Directeur du site Ibn Khaldoun.
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