Á peine tournée la page de la Conférence de Berlin sur la Libye, l’Algérie s’est saisie du témoin pour tenter de relancer un processus de paix moribond autour d’une idée forte: les Libyens sont les mieux à même de résoudre leurs problèmes.
Par Hassen Zenati
Tous les pays qui se penchent actuellement sur le «cas» libyen, en sont d’accord. Plagiant le cri du cœur de Charles-Albert de Sardaigne, qui se battait en 1848 pour l’unité italienne : «Italia farà da sè» (L’Italie s’en tirera toute seule), ils proclament à leur tour : «Libia farà da sè», avec l’espoir d’éloigner les interventions étrangères. Celles-ci sont nombreuses et disparates. Des Emirats arabes unis (EAU) à la Russie en passant par la Turquie, le Qatar et l’Egypte, les agendas politiques étrangers se croisent et s’entrechoquent, en effet, dans ce pays livré au chaos, devenu «l’homme agonisant du Maghreb».
La bataille s’organise autour d’enjeux géopolitiques et économiques considérables, qui attisent les convoitises. D’une part un pétrole abondant, de très bonne qualité, affecté d’une série de primes en sus du prix de vente contractuel, servi par une infrastructure (bases de production, oléoducs, gazoducs, terminaux et ports) de premier ordre. D’autre part une longue façade maritime largement ouverte sur la Méditerranée, qui confère au pays un atout géostratégique indéniable dans la région face à l’Europe, à proximité de la poudrière du Proche-Orient. Sans parler d’un potentiel touristique très riche et prometteur : belles plages de sable fin, à l’état brut, vestiges culturels, Sahara, qui ne demande qu’à être fructifié.
La difficile réconciliation des «frères-ennemis»
Depuis l’effondrement du régime Kadhafi en 2011, sous les coups de boutoirs d’une coalition internationale réunie par la France sous l’emblème de l’Otan, la Libye est à vau-l’eau. Elle est sous le joug d’une multitude de milices armées rivales, prenant leurs ordres chacune chez son ou ses parrains.
Dans cette foire d’empoigne, la diplomatie a depuis longtemps perdu pied : le représentant spécial des Nations Unies dans le pays, l’ancien ministre libanais Ghassan Salamé, qui a échoué dans toutes ses tentatives de réunir une conférence de paix «inclusive», selon le mot d’usage du jargon onusien, en est réduit à n’être plus qu’un faire valoir.
Les deux dernières tentatives de réconciliation des deux «frères-ennemis» : le Maréchal Khalifa Haftar, et le chef du Gouvernement d’Entente Nationale (GNA) Fayez Sarraj, à Moscou, sous l’égide de la Russie, et à Berlin, sous l’égide de l’Allemagne, ont tourné court. Dans les deux cas, Khalifa Haftar s’est éclipsé avant qu’on ne le fasse signer formellement un accord de cessez-le-feu dont il avait pourtant accepté le principe. L’encre du document n’avait pas séché que la trêve consentie avant les réunions prenait fin.
Le Maréchal Haftar rêve d’entrer dans Tripoli juché sur un char
Depuis qu’il a quitté Berlin, Haftar a décrété un embargo aérien sur la capitale libyenne Tripoli, qu’il menace de prendre d’assaut depuis des semaines, sans y parvenir jusque-là. «Tout avion militaire ou civil qui y atterrirait ou en décollerait serait abattu», a précisé un porte parole, franchissant ainsi un nouveau palier dans l’escalade militaire.
Soutenu par l’émir des EAU, Cheikh Mohammed Ben Zayed, le Maréchal Haftar a amassé un grand nombre de troupes et une quantité impressionnante de matériel de guerre aux portes de la ville, qui subit de ce fait un véritable état de siège, en prévision du jour «J». Le terrain est de plus en plus souvent préparé par des raids aériens imputés par des experts miliaires à l’aviation de guerre émiratie. Le dernier en date, le 5 janvier, a fait au moins 28 morts dans les rangs des cadets des forces affiliées au GNA, surpris dans leur caserne d’El-Hadhba El Khadra. Depuis qu’il s’est lancé à la conquête de la Libye, à partir de Benghazi, capitale de la Cyrénaïque, à la tête d’une armée reconstituée à partir des débris de l’armée de Kadhafi en déroute, le Maréchal Haftar, farouchement anti-islamiste, ne jure que par la solution militaire pour faire taire les dissidences. Il rêve d’entrer à Tripoli juché sur un char.
L’Algérie privilégie l’approche politique
Contre cette stratégie guerrière, l’Algérie veut faire prévaloir une approche politique dans le droit fil des tentatives onusiennes avortées. Elle vient de réunir discrètement les voisins de la Libye : Tunisie, Egypte, Soudan, Tchad pour une évaluation de la situation à la lumière des résultats de la conférence de Berlin et des contacts qu’elle a pris avec différentes factions libyennes appelées à être invitées dans une seconde phase, à une conférence de sortie de crise. Principale victime des dégâts collatéraux occasionnés par l’effondrement de l’Etat libyen, le Mali a été également invité.
Les participants ont eu droit à un exposé du ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas, sur les résultats de la Conférence de Berlin, et les perspectives qui lui ont assignées par la diplomatie allemande afin d’éloigner le «spectre syrien» de la région.
Dimanche prochain, 26 janvier 2020, le président Abdelmadjid Tebboune recevra par ailleurs à Alger son homologue turc Recep Tayyip Erdogan, qui fera escale dans la capitale algérienne dans le cadre d’une tournée en Afrique. Les deux hommes s’étaient rencontrés à Berlin. Ils devraient poursuivre leurs échanges de vue sur la crise libyenne à cette occasion.
Ankara avait brusquement remis sur l’avant-scène le conflit libyen en envoyant sur place des troupes régulières à la rescousse du GNA, et en promettant d’infliger une «correction sévère» au Maréchal Haftar si jamais il s’aventurait à prendre de force la capitale libyenne. Pour l’Algérie, les deux approches sont à rejeter. Il n’y a pas de solution militaire possible à la crise libyenne et toute immixtion dans les affaires internes du pays voisin est à bannir rigoureusement, selon elle. Son ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum l’a réaffirmé avec force devant les participants à la réunion d’Alger : «Les Libyens sont capables de dépasser leurs différends par la voie du dialogue et de la réconciliation nationale et de parvenir à un règlement politique à même de sortir le pays de sa crise», a-t-il dit en appelant leurs voisins à les encourager dans cette voie. «Il n’y a pas d’autre issue en dehors de la solution politique, a-t-il insisté. Nous rejetons toute ingérence étrangère en Libye et nous n’entrevoyons aucune autre issue à cette crise, en dehors de la solution politique pacifique», a-t-il ajouté, en exigeant de «respecter la souveraineté de la Libye, une et unifiée, en tant qu’Etat».
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