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Débat à l’Atuge : Les conditions d’une réelle relance économique en Tunisie

Le Club Finance de l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge) a organisé, jeudi 24 septembre 2020, une conférence pour débattre de la loi de relance de l’économie déposée par le gouvernement en juillet et actuellement à l’étude par la commission finance de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Il s’agissait de présenter les mesures phares de cette loi et les effets attendus, et de discuter de ses insuffisances éventuelles en proposant des pistes d’amélioration ou d’évolution de certains articles, face à un panel composé par Abderrazak Zouari, économiste universitaire, ancien ministre du développement régional; Fayçal Derbel, membre de commission Finances de l’ARP et ancien conseiller du Chef du Gouvernement ; Habiba Louati, ancienne directrice de la DGELF (Direction Générale des Etudes et de la Législation Fiscale).

La conférence, modérée par Bilel Sahnoun, directeur général de la Bourse de Tunis et président du Club Finances de l’Atuge, a démarré par une présentation des principales mesures contenues dans la loi.

Un déficit budgétaire à deux chiffres à la fin 2020

M. Derbel a présenté brièvement la situation actuelle du pays : le déficit budgétaire à fin juillet est de plus de 5 milliards de dinars alors que les prévisions étaient de 3,8 milliard pour toute l’année. La Covid-19 a creusé une situation déjà tendue, accentuée par la baisse de production de phosphate, pétrole et gaz et celle de la production industrielle. Il est probable qu’on finisse l’année avec un déficit budgétaire à 2 chiffres et le budget n’est toujours pas bouclé, sans parler de l’impact du verdict de l’affaire Banque franco-tunisinne (BFT).

Vu l’ampleur de la crise, M. Derbel affirme que la loi ne permettra pas la relance escomptée et devra être enrichie par un grand nombre de propositions soumises à l’ARP par différentes institutions et corporations reçues par la commission finances ces dernières semaines (plus de 250 propositions reçues).

L’amnistie de change pourrait rapporter beaucoup à l’Etat

Les principales mesures de ce texte sont l’amnistie de change, le décashing, et la baisse de la pression fiscale. Uniformiser le taux de l’IS à 13,5% ou 15% (sauf les secteurs imposés à 35%), et baisser partiellement la TVA sur l’immobilier. L’amnistie de change est urgente et indispensable et se fera concomitamment avec une évolution du code des changes de manière à permettre aux résidents en Tunisie d’ouvrir des comptes en devises en Tunisie.

À partir de mi-2021, la convention d’échange d’informations entre 162 pays dans le monde sera automatique et non plus sur demande, et nous savons par exemple que rien qu’en France, il y a 24.000 comptes bancaires détenus par des résidents en Tunisie. L’exemple marocain est instructif : ils attendaient 3 milliards de dollars suite à l’amnistie de 2017, ils ont récolté le double!

Nous n’avons pas attendu la loi de finances 2021 afin de gagner du temps, car la loi de finances ne sera votée que le 10 décembre et le pays a besoin de mesures immédiates.

L’objectif de la commission est de finaliser le projet de loi rapidement afin qu’il soit voté dès la rentrée parlementaire.

Relancer la production, moderniser, digitaliser, innover

Prenant la parole à son tour, Abderrazak Zouari a fortement critiqué le titre du projet de la loi : on ne peut parler de relance qu’à travers l’offre ou la demande, or il n’y a que des mesures fiscales dans ce texte, et elles auraient dû figurer dans la loi de finances. Il propose que les 250 propositions soumises à l’ARP suite aux auditions de la commission des finances soient envoyées au ministère des Finances en vue de la préparation de la LF2021. On ne peut parler de croissance économique sans ces préalables :

1/la pleine utilisation de nos capacités de production, ce qui est loin d’être le cas. Utiliser pleinement nos capacités actuelles nous permettra déjà dans un premier temps de faire de la croissance sans investissements majeurs;

2/l’investissement, c’est-à-dire le capital physique : comment peut-on parler de R&D en Tunisie, qui ne peut concurrencer les pays dont les recherches sont très avancées ? La Tunisie devra faire son saut technologique par le renouvellement de son capital physique, ses équipements, et non avec un budget pour la R&D;

3/le capital humain : aucune relance possible sans réforme de l’éducation et de la formation. La France par exemple consacre une grande partie de son plan de relance à la réforme de la formation professionnelle. L’avenir est à la digitalisation de l’enseignement;

4/l’infrastructure : très peu d’investissements dans l’infrastructure ces dernières années;

5/ la qualité et la gouvernance de nos institutions, dont la plupart datent des années 70 et ne sont plus en phase avec les besoins de 2020: moderniser, digitaliser, innover.

M. Zouari propose également de sortir le Titre II du budget de l’Etat et le mettre sous la houlette de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Faire un moratoire sur les petits projets souvent sans impact et ne garder que les grands projets. Les bailleurs verseraient directement leurs fonds dans la CDC et cela éviterait de les utiliser pour payer les salaires, comme c’est le cas actuellement.

Il recommande, par ailleurs, de changer la manière de faire pour les politiques sectorielles : chaque ministre devrait présenter un plan de relance de son secteur dans le mois qui suit sa nomination !

Peut-on faire de la relance économique sans toucher à la fiscalité?

Habiba Louati relève la dichotomie entre le titre de la loi et son contenu. On parle de «relance de l’économie» alors qu’il n’y a aucune mesure économique dans ce texte, ce sont toutes des mesures fiscales dans le but de mobiliser des ressources. Pourquoi sommes-nous incapables de faire de la relance économique sans toucher à la fiscalité ? Le pays a besoin de stabilité fiscale, de l’avis unanime de tous les acteurs. Elle donne l’exemple de l’enregistrement des achats de biens fonciers et immobiliers : 4 changements en 10 ans, donc le contribuable paie au petit bonheur la chance, selon qu’il ait acheté en 2012, en 2016, en 2018 ou en 2021. Elle critique les faibles taux de pénalités proposés par les amnisties, comparés aux pénalités ultra élevées pour les retards d’enregistrement des biens par exemple.

Madame Louati décrit également les moyens insuffisants mis à disposition de l’administration fiscale pour les contrôles et le recouvrement : sans digitalisation et refonte totale des systèmes d’information du ministère des Finances, nous continuerons à être incapables d’appliquer les lois. La connexion entre les administrations est des plus urgentes pour l’efficacité du travail fiscal.

Pendant le débat qui a suivi, les points principaux ayant été soulevés sont les suivants : 1- avant de parler d’amnistie de change il faut d’abord transformer le code des changes actuel; 2- pour plus d’équité, les devises rapatriées devraient en partie être cédées à la Banque centrale de Tunisie (BCT) pour renforcer nos réserves de change, ou en partie allouées au futur emprunt national; 3- avant de parler d’intégrer l’économie parallèle on doit simplifier notre fiscalité, extrêmement compliquée et rébarbative pour les petites entreprises ; 4- besoin de politiques de rupture, rupture par rapport aux politiques publiques actuelles; 5- la relance de l’économie ne se fera que par l’investissement, principalement l’investissement privé, or depuis la disparition des dégrèvements fiscaux l’investissement est en panne; 6- simplifier les textes, miser sur les énergies renouvelables, les PPP, l’agriculture biologique et revoir les conditions bloquantes ; 7- saut technologique : problème lié aux appels d’offres qui n’ont pas la possibilité d’intégrer du transfert de know-how ou de la formation. La loi exige des contrats séparés, ce qui est un total non sens.

Source : communiqué.

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