La prise d’assaut du Capitole, à Washington, par une foule bigarrée de partisans du président sortant Donald Trump, prouve, en fin de compte, que la démocratie dépérit sous les coups de boutoir des cyniques et des opportunistes dans leur quête effrénée du pouvoir, au besoin en faisant appel à des foules incultes, brutales et grossières, et en exploitant la question sociale qui ne fait que s’aggraver en Amérique, en Tunisie et partout ailleurs dans le monde, et risque de tout emporter.
Par Dr Mounir Hanablia
Le 7 décembre 1941 fut qualifié de jour d’infamie par les historiens américains après l’attaque de Pearl Harbour, sans déclaration de guerre, par l’aéronavale japonaise.
Le 7 décembre 2021 fut la journée où le Congrès et le Sénat américains réunis entérinèrent l’élection du président Joe Biden à la magistrature suprême de son pays. La veille, les partisans du président en fin de mandat, Donald Trump, répondant à son appel, s’étaient rassemblés pour tenter de bloquer cette ultime étape de la reconnaissance officielle et définitive du président élu, puis avaient donné l’assaut contre l’auguste assemblée, à travers les fenêtres, obligeant ses membres à se disperser et à se cacher pendant quelques heures, jusqu’au rétablissement de l’ordre par les forces de sécurité. Le bilan s’est chiffré à 4 morts et on ignore le nombre des blessés.
Il importe peu que ceux qui aient fait irruption dans le saint des saints de la démocratie américaine eussent été dignes de figurer dans ‘‘Mad Max’’ ou ‘‘Easy Rider’’. Après les nombreux événements qui avaient eu lieu aux quatre coins du pays, particulièrement à l’Assemblée d’Etat du Michigan, plus personne n’ignorait de quel bois étaient faits ceux qu’on avait invités à venir défendre leurs droits de ne pas se laisser déposséder frauduleusement de la victoire qui leur revenait.
Ce dont M. Trump est capable, ses partisans en sont aussi
On le savait, Donald Trump est capable de faire descendre dans la rue, autant ses partisans, que ses adversaires. Evidemment on ne comprendra jamais le cheminement mental d’ un individu torse nu le visage peint qui s’affuble d’une toque en fourrure coiffée de deux cornes de bison, s’identifiant avec la cause d’un entrepreneur milliardaire organisateur et présentateur de jeux télévisés qui refuse de reconnaître qu’un virus puisse tuer des centaines de milliers de personnes, ou plus simplement d’admettre sa défaite aux élections présidentielles, après 60 recours rejetés par la justice. Le lien faisant oublier la différence de classe sociale s’établit par le biais du langage, particulièrement quand celui-ci porte sur une sensibilité partagée par une culture ou des traditions communes.
Dans le monde entier, le discours politique le plus audible, le plus compréhensible pour les gens simples, est évidemment celui qui cible leurs problèmes, qui y apporte des solutions, et qui en désigne les responsables, en particulier quand il est relayé par des techniques de communication moderne comme celle utilisée par Cambridge Analytica. Et en Amérique, autant qu’ailleurs, sinon plus, les gens veulent d’abord du travail. Donald Trump leur en a fourni en obligeant par des mesures protectionnistes contraires aux règles instaurées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les entreprises américaines expatriées à regagner le territoire national. Il a désigné les coupables, les minorités et les immigrés à l’intérieur, les Chinois à l’extérieur auxquels il a en outre fait porter la responsabilité du coronavirus.
Ce faisant, les électeurs de Trump n’ont donc pas été que les racistes blancs, ainsi que les statistiques l’ont démontré, mais aussi des basanés, dans une proportion d’ailleurs nettement plus importante lors des élections actuelles, que lors de sa victoire contre Hillary Clinton. Et à l’inverse de nombreux blancs, liés économiquement à la mondialisation, se sont détournés de lui, et nullement à cause du caractère raciste de son discours, à leurs yeux parfaitement admissible. Donald Trump les empêchait simplement de gagner plus en leur interdisant de commercer avec l’Iran, ou de produire au Bangladesh. Son insistance à ne pas admettre sa défaite, tel qu’il l’a fait, ne laissera pas de surprendre. Il faut croire que même sans preuves tangibles, il soit convaincu d’avoir été fraudé. Il est vrai qu’il avait commencé à exprimer ses doutes dès lors que le vote par voie postale avait été instauré. Il avait d’ailleurs, quelques mois avant les élections, tenté de remplacer le président de l’US Postal, déclenchant ainsi une polémique et une tempête de protestations.
Les procédures de vote utilisant l’informatique et l’électronique en question
Évidemment, déjà convaincu par son ancien conseiller Steve Banon que le gratin politique de Washington, lié à la mondialisation, userait de tous ses pouvoirs pour le neutraliser, le chasser, ou empêcher sa réélection, Trump ne pouvait pas ne pas réagir quand les résultats dans les Etats où il menait du fait du suffrage direct, ont été renversés par le contage du vote postal. C’est là le nœud de l’affaire, le point sensible. Mais pour avoir lui-même bénéficié de l’apport de moyens influençant l’opinion publique et en évaluant les tendances en temps réel, sur les pages des réseaux sociaux, lors de sa victoire, il sait très bien que, théoriquement, la fraude électorale soit dans les procédures utilisant l’informatique et l’électronique, parfaitement possible, tout comme elle l’est dans les opérations bancaires.
La justice sollicitée par de multiples recours n’a pour autant pas constaté de violation de la loi. Pouvait-elle au fond faire autrement? Émettre des doutes sur le bien-fondé des élections dans un pays comme les Etats-Unis ne peut être considéré par de nombreux juges que comme une remise en question de leur propre légitimité émanant de la Constitution. Et si le plaignant n’a pas de preuves, la justice estime qu’il n’est pas de son rôle de les chercher. Mais sauf à considérer qu’en matière informatique, les fraudes puissent exister sans laisser de traces, l’Attorney Général Bill Barr, une créature du président, les eut fait découvrir par le biais du FBI. C’est pourtant bien le même Bill Barr qui l’avait aidé à se disculper de l’accusation de complicité avec la Russie pour se faire élire à la présidence, en donnant du rapport du procureur Robert Mueller une interprétation tendancieuse et partisane. Et c’est bien la Russie qu’on avait accusée d’être intervenue dans les élections américaines, en influençant les électeurs sur les réseaux sociaux.
Plus de la moitié des républicains croient à la fraude électorale
Néanmoins, il arrive un moment où le citoyen n’a d’autre alternative que de croire en le caractère inviolable de la conscience de ceux qui servent l’Etat, peut-être désormais en Amérique plus qu’ailleurs. Paradoxalement cela ne semble pas avoir été l’avis d’un grand nombre de figures éminentes du Parti Républicain, en particulier les sénateurs de l’Arizona, ainsi que l’ont démontré leurs interventions lors de la fameuse séance d’adoubement, par le Congrès. Jusqu’au bout, ils se seront obstinés à défendre le point de vue de la fraude électorale.
Le Parti Républicain porte déjà une très lourde responsabilité pour avoir bloqué la procédure d’impeachment parfaitement justifiée engagée par le Congrès contre le président après qu’il fut clairement apparu qu’il avait subordonné la vente de matériel militaire à l’Ukraine à l’obtention de preuves de corruption contre Hunter Biden. Ainsi, bien avant l’investiture par son parti, l’identité du candidat démocrate à la présidence n’aurait déjà pas été un secret pour son rival ?
Le citoyen américain moyen comprendrait certainement qu’un un homme seul, en fin de parcours, exprime des doutes issus de sa seule conviction, même si en l’occurrence ils puissent décrédibiliser le fonctionnement des institutions américaines. Il n’a pour autant pas excusé cette manie de ne pas écouter les autres, en menant le peuple au désastre sanitaire national, et c’est même pour cela qu’il a le plus souvent préféré ne pas le réélire.
En dépit de tout cela, le Parti Républicain a apporté une aide décisive à Donald Trump dans sa remise en cause du résultat des élections. La raison? Selon un sénateur, républicain bien sûr, elle résiderait dans le fait que près de 41% des électeurs croient à la thèse de la fraude électorale, plus de la moitié quand ils sont républicains, et 17% chez les démocrates. C’est admettre ne pas avoir d’opinion propre, et se borner à surfer sur la vague de l’opinion publique. Si ce n’est pas une attitude opportuniste, cela y ressemble. Mais en s’y prêtant, le Parti Républicain a crédibilisé l’accusation et il s’est décrédibilisé quand en fin de compte ceux qui ont soutenu le président Trump avant l’assaut du Capitole par ses hordes sauvages se sont empressés de tourner casaque et d’approuver l’élection de Biden, après leur passage. C’est qu’après en avoir vu quelques spécimens affalés sur leurs propres fauteuils, les pieds sur les tables, ou bien se prélassant sur la chaire de la présidence de l’assemblée, ils ont compris qu’elles ne les épargneraient pas plus que les démocrates et tout autre représentant de l’Etat américain. C’est le spectre palpable d’une révolution sociale qui a brusquement ramené ces opportunistes vers le confort rassurant de l’ordre établi.
Enfin, le discours de Biden annonçant le rétablissement du respect de la justice et de la Constitution bafouées et profanées selon lui par son prédécesseur, n’apporte pas de plus précisions sur ce qui a rendu cela possible, les lois et les institutions n’ayant pas fait office de garde-fous empêchant les débordements.
Joe Biden avait ordonné à Trump de demander, publiquement par l’intermédiaire de la télévision, à ses partisans de se retirer du Capitole. La surprise a été que ce dernier obtempère immédiatement. Mais on peut se demander ce qui se serait passé s’il ne l’avait pas fait… Et si Trump est en train de terminer son mandat, ses partisans eux seront toujours là pendant de longues années, organisés, décidés, au besoin armés, prêts à participer à tout projet entrant dans leurs vues, ou à s’allier avec toute personne dont les propos leur siéraient.
La démocratie à la merci des foules incultes, brutales et grossières
C’est là toute l’ambiguïté de la démocratie. Il suffit que la personne qui tienne les leviers du pouvoir ne prétende pas se conformer à son esprit pour que tout s’effondre. Et apparemment ce qui a scandalisé aux Etats-Unis cette fois n’a pas été cette pénétration de force, cela s’était déjà passé dans d’autres Etats. Ce qui a le plus choqué c’est que tous ces chiens perdus sans colliers se soient ainsi imposés de force avec le monde comme témoin.
Le président Macron a dit que ce qui s’est passé n’était pas la véritable Amérique. Mais ce qui s’est passé le 14 juillet 1789 représentait-il véritablement la France? Chez nous en Tunisie, nous avons un président de la république qui ne s’entend pas avec le chef du gouvernement que lui-même a désigné, un président du parlement, Rached Ghannouchi, dont l’objectif est d’islamiser la société selon la vision partagée avec Youssef Qaradawi et qui veut se prévaloir pour cela d’un seul article de la Constitution.
Nous avons un parti politique qui gagne les élections, Ennahdha, mais ne veut gouverner que derrière les coulisses, un autre parti dont quelques membres veulent diviser les femmes entre bonnes et mauvaises, Al-Karama, font le coup de poing au besoin dans l’enceinte du parlement et veulent nous subordonner à d’autres pays dont nous partageons la religion. Nous avons des libéraux, Qalb Tounes, qui ne s’offusquent pas de s’allier à ceux qui font l’apologie du terrorisme du moment que cela fait marcher leurs affaires. Et nous avons une Instance supérieure indépendante des élections (Isie) qui ne veut pas ouvrir la question du financement des partis politiques, ou des campagnes électorales, pas plus que ne veut le faire la justice. Des crimes politiques ne sont toujours pas élucidés et beaucoup d’articles de la Constitution demeurent en veilleuse; à commencer par ceux relatifs à la Cour Constitutionnelle.
Le plus grave est que ce qui vient de se passer en Amérique va chez nous raffermir les cyniques et les opportunistes dans leur quête effrénée du pouvoir, au besoin en faisant appel à des foules incultes, brutales et grossières, celles qu’engendre une société toujours plus inégalitaire. Et en fin de compte, la démocratie dépérit sous le poids de la question sociale qui ne fait que s’aggraver en Tunisie, en Amérique, partout ailleurs dans le monde, et risque de tout emporter.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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