À une époque où critiquer le président de la république Kais Saied équivaut à apporter un soutien objectif à la mainmise cléricale sur le pays, incarnée par le parti islamiste Ennahdha, et entre une servilité qui se déshonore, celle du chef du gouvernement Hichem Mechichi, ou un bellicisme qui se perd, celui d’Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), M. Saied incarne la voie garantissant sans concessions l’intégrité à minima de l’Etat… en attendant des jours meilleurs.
Par Dr Mounir Hanablia *
Malgré toute l’étendue de la crise que traverse la Tunisie, et qui a débuté il y a 10 ans, il y a encore des gens prompts à critiquer le président Kais Saied, qui vient de renvoyer au chef du gouvernement Hichem Mechichi un de ses messages sans daigner en prendre connaissance. Voilà qu’on l’accuse de se comporter en calife. Mais que lui reprochent ses détracteurs ?
En fait, ils lui reprochent des futilités ! Faire la queue à la boulangerie pour acheter son pain – Barack Obama allait bien acheter des pizzas à ses collaborateurs en pleine crise des subprimes –; aller au marché pour s’enquérir des prix des denrées alimentaires; aller prier dans les mosquées des quartiers populaires le vendredi, mais Georges Bush faisait de même en se rendant à l’église chaque dimanche.
Les comparaisons avec les Etats Unis d’Amérique semblant aux yeux de certains tomber mal à propos, y compris quand il s’agit de Donald Trump jouant au golf en pleine contestation contre les résultats des élections, notre président se placerait lui-même loin des affaires les plus urgentes de l’Etat, celles requérant les solutions qu’il serait incapable d’apporter par incompétence, indécision, ou irrésolution, et qu’un discours prononcé dans un arabe classique incompréhensible pour l’homme commun serait chargé de dissimuler.
Qu’ont apporté Ghannouchi ou Caïd Essebsi à la Tunisie en une décennie ?
Peut-on pour autant citer une quelconque réalisation au bénéfice du pays de messieurs Rached Ghannouchi ou Béji Caid Essebsi durant une décennie ? On n’a pas relevé qu’en agissant ainsi, en se mêlant au peuple, il voulait simplement marquer, en tant que chef de l’Etat, sa solidarité avec le simple citoyen dans son quotidien, confronté aux conséquences d’un jeu politique dont pour être exclu il demeure le grand perdant. Mais n’est-ce pas ce même verbe qui avait assuré à Kais Saied le succès que l’on connaît lors des élections présidentielles? Il ne demeurerait donc incompréhensible que pour ses critiques, qui, outre les cléricaux, les clérico-fascistes, et les affairistes, rassemblent également tous les déçus de Béji Caid Essebsi, ces enfants de chœur qui ignoraient que les promesses n’engageaient que ceux qui les croyaient.
Ainsi Kais Saied voit se dresser contre lui une large part de l’éventail politique tunisien, celle qui va de l’actuelle majorité parlementaire, à laquelle il s’oppose, jusqu’au Parti destourien libre (PDL), qu’il évite d’inviter à Carthage, et qui désire garder l’exclusivité du prestige issu du combat contre la mainmise cléricale sur les rouages de l’Etat.
Pourtant la solution à toute crise politique dans un système démocratique passe par la démission du gouvernement, la dissolution du parlement, et l’organisation d’élections législatives anticipées. Mais c’est justement de cette solution que l’actuelle majorité parlementaire ne veut pas entendre parler.
Les alliés d’Ennahdha courent le risque de sombrer corps et biens
Rached Ghannouchi, président de l’Assemblée et du parti islamiste Ennahdha, et le professeur de droit public Yadh Ben Achour ont prétendu tous deux que la Constitution tunisienne établissait un régime parlementaire. Mais abstraction faite du caractère tronqué de la démocratie dans notre pays, qui fonctionne sans Cour constitutionnelle comme une voiture roule sans freins parce que, constitution ou pas, les partis politiques de la majorité parlementaire n’en veulent pas, et si l’on se réfère à des pays qui ont adopté ce système, comme l’Italie ou la Belgique, la réalité est qu’ils ont passé une grande partie de leur vie politique sans gouvernement élu. M. Ghannouchi ne veut, pour autant, pas affronter le jugement des électeurs. Si son parti a les moyens d’en réunir le nombre requis lui assurant à l’assemblée une place incontournable, il n’en est pas de même pour ses alliés, et un parti comme Qalb Tounès court le risque de sombrer corps et biens, tout comme l’avaient fait avant lui Ettakattol, le CPR, et le Nidaa Tounes, pour les mêmes raisons.
Dans ces conditions il est plus rentable d’accuser le président de la république de violer la Constitution, cela fournit un prétexte valable pour conserver à tout prix l’actuel chef du gouvernement, procéder à des remaniements ministériels de caractère manifestement provocateur justifiant le mépris du chef de l’Etat, qui seront rejetés tout autant que ceux qui les auront précédés, renvoyer les élections aux calendes grecques, et justifier une éventuelle procédure de destitution du président de la république.
Parmi toutes les inepties qu’on a entendues, l’excuse la moins recevable pour refuser les élections est sans aucun doute celle qui prétend qu’il n’y ait aucune utilité à y recourir, et qu’avec les mêmes partis politiques en course, les résultats ne sauraient être différents de ceux qui les ont précédés. Aucun constitutionnaliste n’a relevé cette énormité pour la condamner, tous se sont concentrés sur la prétention, d’ailleurs justifiable, du chef de l’Etat à être le seul habilité à interpréter la Constitution en l’absence de Cour constitutionnelle.
Pour ma part, je trouve qu’à une époque où le critiquer équivaut à apporter un soutien objectif à la mainmise cléricale sur le pays, et entre une servilité qui se déshonore, celle de M. Mechichi, ou un bellicisme qui se perd, celui d’Abir Moussi, présidente du PDL, M. Saied incarne la voie garantissant sans concessions l’intégrité à minima de l’Etat… en attendant des jours meilleurs.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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