A en croire les Destouriens, c’est Abir Moussi qui a balisé le terrain au coup d’éclat du 25 juillet 2021 ayant permis au président Saïed de geler les travaux de l’Assemblée; de limoger le chef du gouvernement et de prendre en main les leviers du pouvoir en Tunisie pour mettre les islamistes d’Ennahdha hors d’état de nuire. Or, à la vérité, il n’en est rien. Explications…
Par Mounir Chebil *
Après la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique, un bon nombre d’agents secrets américains ont sombré dans la dépression. L’espionnage qui était leur raison d’être a diminué d’intensité. Il n’y avait plus rien à espionner. Ils se voyaient scribouillards oisifs dans les bureaux des diverses agences chargées de la sécurité de l’Etat.
Depuis le gel du travaux de l’Assemblée, le 25 juillet 2021, par le président de la république Kaïs Saïed, Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL), la meilleurs de tous, l’irréprochable, l’intouchable, la lionne, celle que ses fidèles qualifiaient du «mec le plus viril en Tunisie», dotée des plus lourds bijoux de famille, faits d’acier trempé, se démène et s’agite comme un poisson hors de l’eau. Elle a perdu les feux de la rampe hier encore braqués sur elle, et sous lesquels, elle jubilait. Elle a perdu aussi le fonds de commerce qui a fait sa gloire: le combat contre les Frères musulmans, ou «Khouanjia» comme elle préfère les appeler, ainsi que l’hémicycle parlementaire qu’elle instrumentalisait pour gagner en popularité. Elle a aussi perdu son sparring-partner, Seifeddine Makhlouf, le porte-parole de la coalition Al-Karama, et son agressivité bénite.
La joie de Mme Moussi a été de courte durée
Il faut dire que le manège de Mme Moussi et ses démenées populistes à l’encontre des Frères musulmans ont trouvé un écho chez un auditoire exaspéré par le diktat, l’arrogance et les abus de toutes sortes des Frères musulmans qui se croyaient tout permis. Elle se voyait déjà héroïne dans un film intitulé «Bardo, porte ouverte», tout en cultivant le rêve de siéger un jour au palais de Carthage. Ses ambitions ont été stoppées net. «Farha ou ma tammitch», sa joie a été de courte durée.
Au soir du 25 juillet 2021, le président de la république Kaïs Saïed a fait son passage en force pour concentrer tous les pouvoirs entre ses mains et mettre ainsi fin à la crise qui a bloqué la marche du pays et déloger les Frères musulmans de leurs repaires dans les hautes sphères de l’Etat. Qu’on soit pour ou contre la personne, son acte a été des plus courageux au regard du contexte international très réservé vis-à-vis des coups de force politiques, de la violente réaction éventuelle des Frères musulmans et de celle de la pègre qu’ils protègent, ainsi que des réserves des «houqouqiyn» (doits-de-l’hommistes) et des zazous et mignons démocrates obnubilés par le moule de la démocratie occidentale et qui, tout au long de leurs parcours, surtout depuis 2011, ont joué le jeu des islamistes.
Rien que pour avoir limé les ongles de Rached Ghannouchi, l’acte du président de la république est salutaire. Dix ans de diktat intégriste ont pris fin, au moins pour un temps. Toute ambition des Frères de Satan pour s’accrocher aux fauteuils du pouvoir est contrariée. Le parlement est dissout, le gouvernement Mechichi limogé, le ministère de la Justice, fief de Noureddine Bhiri fustigé, et le règne de l’immunité pour les politicards mafieux, mis dans la ligne de mire.
Et voilà que les adeptes de la présidente du Parti destourien libre (PDL) qui, sous sa bienveillante conduite, s’agitent dans tous les sens pour mettre l’acte salvateur du président de la république au crédit de Mme Moussi. Il faut toujours qu’elle soit la vedette. Il ne faut pas que son nom sombre dans les oubliettes. Il ne faut pas que l’image de la passionaria s’étiole parmi ses adeptes. Il ne faut pas que la troupe se disperse, et penche vers le camp du président de la république.
Le siège du parlement a été fermé, les réseaux sociaux ont pris le relais. Les partisans de Mme Moussi clament sur facebook, et toujours avec sa bienveillance, à qui veut les entendre, que c’est elle qui a préparé le terrain à Kaïs Saïed. Sans elle, ce dernier n’aurait rien pu entreprendre. C’était, selon eux, grâce au combat qu’elle a mené contre les Frères musulmans organisés dans le parti Ennahdha que le président de la république a réussi son passage en force et a mis Ennahdha et ses alliés hors des circuits du pouvoir. Elle les a tellement harcelés qu’elle les a usés. Les Tunisiens avaient soutenu Kaïs Saïed parce que c’était elle, et elle seule, qui les a fait prendre conscience du danger des intégristes, ainsi que de leur propension à la violence et elle les a ligués contre eux. Elle a mobilisé les Tunisiens contre la secte frériste et Kaïs Saïed a récupéré cette mobilisation, disent-ils en chœur. Monsieur propre est donc devenu usurpateur. Il a usurpé son combat. Des plumes se sont jointes à cette littérature bas de gamme du facebook soutenant que si ce n’était pas elle, nous aurions tous été contaminés par le virus des «Khwanjia». Alors que, quand elle était encore enfant, le combat contre les Frères musulmans était déjà à son paroxysme et prenait parfois des formes des plus violentes à l’université, à l’UGTT et dans le milieu culturel même, cinés clubs entre autres et j’en suis témoin.
Le combat contre l’islamisme a commencé il y a longtemps en Tunisie
De 2011 à 2014, un combat sans relâche était mené par toutes les composantes sociales contre la horde salafiste et les milices d’Ennahdha et le terrorisme dans tous les recoins du pays. Feu Béji Caïd Essebsi et son Nidaa Tounes ont cristallisé un moment cette opposition contre le fondamentalisme religieux et l’islam politique et qui a eu son apothéose en août et septembre 2013. Du sang a coulé, beaucoup de sang de nos valeureux soldats et agents de la sécurité. Deux dirigeants de gauche Mohamed Brahmi et Chokri Bélaïd ont payé de leur vie cet engagement.
Que représentent les petites égratignures bénites qu’a subi Abir Moussi lors des échauffourées à l’Assemblée devant les agressions de toutes sortes subies par les Tunisiens. De simples citoyens, des ouvrières sur le chemin du travail, des dramaturges, des plasticiens, des cinéastes, des penseurs, des militants pour la liberté se sont fait agresser bien avant elle. En ces temps-là, Tunisiens hostiles à l’islam politique étaient héroïques, et Mme Moussi, encore jeune, n’était pas encore à leurs côtés. Quand les gladiateurs étaient aux prises avec les fauves, elle n’était même pas sur les gradins. Les braves n’ont jamais baissé les bras. Pourtant dans une vidéo diffusée le 26 juillet 2021, elle déclarait : «J’ai subi leur violence et beaucoup d’injustice. J’étais la seule à sortir dans la rue pour contrer leur système et je me suis toujours rangée du côté du peuple tunisien». Non madame, quand on prend le train en marche, on ne doit prétendre d’en être la locomotive.
Le Tunisien a toujours refusé le fondamentalisme, le salafisme et le wahhabisme. Les réformateurs de la deuxième moitié du XIXe siècle, le mouvement Jeunes tunisiens, le Destour le Néo-Destour et le mouvement syndical n’ont jamais revendiqué l’Etat islamique gouverné par la charia. De tout temps, quand le wahhabisme et les Frères musulmans sévissaient dans les pays arabes, la Tunisie était orientée vers la modernité. Bourguiba a radicalisé cette orientation émancipatrice. Il a forgé le mental des Tunisiens, libéré la femme et prémuni la société contre les courants rétrogrades. Les islamistes de tout bord lui en voulaient pour ce travail sur les mentalités et l’impact de l’émancipation de la femme sur la société.
Avec le nombre phénoménal de mosquées et d’imams salafistes et de prédicateurs obscurantistes importés par Ennahdha entre 2011 et 2013, la grande majorité des Tunisiens aurait dû intégrer Ennahdha ou le mouvement salafiste de Ridha Belhaj resté dans l’ombre. Mais cela ne s’était pas produit. Le refus de l’intégrisme était déjà là, il est plus que centenaire, Mme Moussi a voulu en faire un fonds de commerce pour ses ambitions politiques. C’est son droit, mais elle ne doit pas en revendiquer le monopole.
Mme Moussi a raté le rendez-vous du 25 juillet 2021
Mme Moussi, tu n’es pas seule à t’opposer à Ennahdha. Le 25 juillet 2021, tu n’étais pas à la manifestation et tu avais même appelé à son boycott, pourtant, dans tout le pays, le peuple s’est soulevé contre les «Khwanjia» appelant à la dissolution du parlement que ces derniers dominaient et à la démission du gouvernement de Mechichi qu’ils contrôlaient. Dans ces manifestations, il y avait Bourguiba dans l’âme des Tunisiens et Kaïs Saïed sur le front. Ce dernier avait ses réseaux sur terrain répartis sur tout le pays ou presque, et qui travaillaient en underground ainsi que les réseaux sociaux qui l’ont fait président et qui ont enclenché le mouvement insurrectionnel dans tout le pays en ce 25 juillet. Aucun parti ne pouvait réussir un tel défi. Ils ont été ralliés par le peuple exaspéré qui a appelé à ce qu’on le débarrasse des Frères musulmans et qu’on les déloge des sphères du pouvoir et de l’administration. Le Président était là et à répondu à l’appel du peuple. Alors que Mme Moussi était chez elle, à regarder vers où les vents vont tourner, pour enfin sortir le 26 juillet avec un communiqué hésitant et insipide.
De quoi sera fait demain? Le «tzaghrit» et «darbik» (ou culte de la personnalité) battent leur plein, et voilà que, déjà, les coureurs de dots se veulent séducteurs avec leurs nouvelles vestes. Même un strapontin, pourquoi pas?
Le 25 juillet, c’était beaucoup d’euphorie. Le 14 janvier 2011 était euphorique aussi. Mais, la manette de vitesse de la fameuse «révolution du jasmin» s’est avérée bloquée sur la marche arrière et nous a rétrogradés du printemps vers un automne aux couleurs des plus maussades et qui refuse de finir. C’était en fait un vice de fabrication. La manette de vitesse du 25 juillet trouve des difficultés à se positionner en première et nous ne sommes pas encore sortis de l’automne. La boite à vitesse elle-même est défaillante et on est encore à chercher la feuille de route qui devrait la décoincer. J’espère qu’elle ne sera pas chez les comités du mouvement populiste «Echaab yourid» (Le peuple veut).
* Haut cadre de la fonction publique à la retraite.
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