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Noah Feldman: «Je suis content d’avoir collaboré à l’écriture de la Constitution tunisienne»

Les Américains dépêchent un «gamin» pour aider à écrire les constitutions de l’Afghanistan, de l’Irak et de la Tunisie, on connaît la suite : le «désordre créateur» est en marche dans ces trois pays.

À chaque fois qu’un Tunisien dit que Noah Feldman a contribué à l’écriture de la Constitution tunisienne, il a été traité par les islamistes et les révolutionnaires de la 25e heure de menteur et d’adepte de la théorie du complot qui veut diaboliser la démocratie naissante et d’œuvrer pour la contre-révolution. La version officielle qu’ils veulent imposer: les constituants élus par le peuple ont écrit la Constitution et personne n’a le droit de la contester. Or cette version n’est pas une vérité historique mais un mensonge historique car le juriste américano-israélien a bel et bien participé à l’écriture de la Constitution de 2014… de son propre aveu.

Par Imed Bahri

M. Feldman a sûrement des défauts mais il a une qualité que personne ne peut lui contester, la franchise. Il assume ses idées et ses actes et les revendique devant tout le monde. Sa participation à l’écriture de la Constitution tunisienne, il l’assume alors que beaucoup à Tunis, surtout parmi les islamistes, ne veulent pas en entendre parler et préfèrent le déni et le mensonge. Sa présence au Bardo, le 26 janvier 2014, jour de l’adoption de la Constitution, il la revendique fièrement, alors que beaucoup à Tunis ne veulent pas en entendre parler, car ça les gêne.

Feldman assume son tropisme islamiste

Le tropisme islamiste de M. Feldman et sa défense très forte des islamistes en général et des Frères Musulmans en particulier, qu’il considère comme des démocrates, il les assume aussi. Mais ces derniers, adeptes du double langage, ça les arrange que M. Feldman les défende aux États-Unis mais ils ne veulent pas que ça se sache à Tunis car être défendu par un américano-israélien est une énième preuve qu’ils sont les alliés des méchants Yankees dans le monde musulman, alors que le discours qu’ils destinent à la consommation intérieure est anti-américain, anti-israélien et même souvent antisémite. Chez les islamistes, la frontière entre juifs et sionistes est, on le sait, très poreuse.

Interrogé en 2014 par le journal canadien La Presse sur sa présence au Bardo et les critiques qu’elle a suscitées, Noah Feldman répondra à cette question mais en plus c’est à ce moment qu’il reconnaît publiquement qu’il a participé à l’écriture de la Constitution tunisienne que jusque-là aucune partie tunisienne n’a reconnu et ne veut reconnaître plus de 7 ans après l’adoption de ce texte aujourd’hui très controversé et remis en question dans les plus hautes sphères de l’Etat. «Ça a mis beaucoup de mes amis tunisiens dans l’embarras. Tant des islamistes que des laïcs ont dû se porter à ma défense, dit-il. Je suis néanmoins content d’avoir collaboré à l’écriture de la Constitution tunisienne. Je suis très optimiste quant à l’avenir de ce pays, qui pourrait devenir la première démocratie du monde arabe». C’est clair comme le jour.

Que pense-t-il de ses amis islamistes, il les défend: «Cette démocratie doit donner une place aux islamistes», soutient-il, avant de poursuivre avec une certitude déconcertante: «Au début, dans les années 70 et 80, les islamistes n’étaient pas démocrates. Mais dans les années 90, avec des victoires comme celle qu’ils ont remportée en Algérie, ils ont réalisé qu’ils pouvaient gagner des élections et sont devenus démocrates».

Rached Ghannouchi, Ibrahim Mounir ou encore Azzam Tamimi n’aurait pas pu mieux dire! Mais au moins M. Feldman n’est pas dans l’ambiguïté et la langue de bois, il dit ce qu’il pense et l’assume. On aimerait bien que nos autorités fassent preuve de franchise et avouent le rôle de ce Yankee dans la rédaction de la Constitution de 2014 et qu’il nous révèlent ce qu’il y a exactement apporté ? Quelles ont été ses idées traduites dans notre loi fondamentale? Qu’ils nous rendent des comptes, c’est notre pays et nous avons le droit de savoir.

Le fait religieux chez Feldman, fruit de son histoire personnelle 

Noah Feldman est né le 22 mai 1970 dans une famille juive orthodoxe dans l’Etat du Massachusetts (côte est) où il grandit dans une fratrie composée de trois garçons, lui et ses deux frères Ezra et Simon. Ce déterminisme social et religieux, pour reprendre le terme sociologique, explique la place centrale de la religion chez le juriste américano-israélien, ami des islamistes, qui cherche à mettre en place des Etats à fondement religieux dans tout le monde arabe pour qu’Israël ne reste pas le seul Etat à fondement religieux dans cette région, où tous les régimes laïcs, au cours des cinquante dernières années, étaient hostiles à… Israël. Il ne fallait pas trop se triturer les méninges pour comprendre les réelles motivations de M. Feldman. Élémentaire, mon cher Watson!

Toujours franc et ne cachant jamais rien, il dira dans le même article qui lui est consacré par La Presse qu’il portera la kippa jusqu’à la fin de ses études universitaires. Maintenant, on comprend mieux pourquoi Feldman, une fois devenu juriste, n’a aucun problème à ce que la religion soit instrumentalisée par la politique et on comprend mieux sa défense solide des islamistes. On comprend mieux pourquoi dans ses travaux constitutionnels comme en Irak, il a défendu la création d’un État confessionnel et d’une démocratie avec des éléments islamistes. Cette dernière position a été saluée par certains comme une solution pragmatique et sensible aux problèmes inhérents à la création d’un nouveau gouvernement irakien mais d’autres ont cependant fait objection qualifiant les vues de Feldman de simplistes et à courte vue.

En effet, à l’époque où M. Feldman a eu sa première expérience irakienne en 2003 avant celle de la Constitution de 2005, il n’avait même pas 33 ans. En 2003, il a été nommé conseiller constitutionnel principal auprès de l’Autorité provisoire de la coalition en Irak. À ce titre, il a conseillé la rédaction de la loi administrative de transition, précurseur de la constitution irakienne. Donc le texte qui a régi l’Irak, énorme pays du Moyen-Orient et État stratégique entre l’Iran, la Turquie et le Golfe arabe, a été écrit par un garçon de 32 ans qui ne connaissait même pas le pays.

Hélas, certaines personnes considèrent qu’être diplômé de prestigieuses universités (Harvard et Oxford pour Feldman) fait de vous un «Monsieur je sais tout» et vous octroie une légitimité pour faire ce que vous voulez.

M. Feldman se dit connaisseur de l’islam. La belle affaire ! Quand on connaît l’islam, on ne connaît pas forcément les pays arabes et leurs spécificités. Pour Feldman, cette connaissance, apprise dans les universités, est toute théorique. Il est loin, très loin de la pratique et il est dépourvu de toute expérience de terrain or il ne suffit pas d’avoir fait des études en droit constitutionnel dans une université prestigieuse et de s’intéresser à la religion musulmane pour pouvoir rédiger les Constitutions des pays arabes. Il faut connaître la mentalité, la sociologie politique de chaque pays, son histoire, sa composition religieuse, ethnique et confessionnelle, sa structure sociale, etc… Et tout cela, Feldman l’ignore. Il est dans une logique à la fois simpliste et subjective. Simpliste car pour lui un pays arabe est de facto un pays musulman et donc on donne une place centrale à la religion dans la Constitution et on accorde aux islamistes le premier rôle sur la scène politique. C’est plus que simpliste, c’est de l’ignorance d’un monde arabe plus complexe. C’est une vision truquée car basée sur des clichés. Ensuite sa vision n’est pas scientifique et rationnelle mais fortement subjective car M. Feldman de par la place centrale du fait religieux dans son histoire personnelle et familiale met la religion au cœur de son travail.

Feldman vole au secours de ses amis islamistes

Aujourd’hui, le sincère M. Feldman dont nous critiquons le travail et le tropisme islamiste  mais dont nous reconnaissons la sincérité et la franchise vole au secours de ses amis islamistes tunisiens mis à mal par l’activation de l’article 80 par Kaïs Saïed. Dans une tribune publiée dans Bloomberg, il estime que M. Saïed a commis une violation de la Constitution et pire, il perd ses nerfs et exige que la communauté internationale et surtout les États-Unis fassent pression sur le président tunisien pour qu’il se rétracte et revienne à l’avant 25 juillet.

Une nouvelle fois, M. Feldman prouve qu’il n’a pas le sens de la réalité, qu’il ignore surtout la réalité tunisienne et qu’il est toujours prisonnier de la théorie qui est pour lui la vérité absolue à laquelle le monde arabo-musulman doit se conformer car il a décidé ainsi.

M. Feldman reste un petit garçon capricieux. Ou bien son choix prévaut ou bien c’est mauvais mais jamais il n’essaye de comprendre la réalité des autres pays et la spécifié de leurs situations respectives. Il ira même sans doute sous le férule du lobbying et de la manipulation de ses amis islamistes jusqu’à considérer que la Tunisie comme un pays qui vit des aides, des dons et des prêts et qu’il faille donc utiliser ce levier pour faire pression sur M. Saïed. Si ce n’est pas là du néo-colonialisme c’est quoi alors?

Ou bien la Tunisie et son peuple se conforment à la volonté de M. Feldman ou bien ce pays et son peuple doivent être punis. Le garçon de 30 ans qui participa à l’écriture de la Constitution irakienne, qui avait 40 ans quand il a participé à l’écriture de la Constitution tunisienne a aujourd’hui 50 ans mais il demeure capricieux et veut à tout prix imposer sa vision simpliste. Cependant, la tribune de M. Feldman a tellement plu à l’islamiste Radwan Masmoudi que son officine (le CSID, financé par le Département d’Etat américain) l’a envoyée à tous les médias tunisiens, preuve que faire du chantage à la Tunisie ne dérange pas ce «vendu» car pour lui le parti Ennahdha passe avant la patrie tunisienne. D’ailleurs, il est… américain.

Lien de l’article de La Presse qui contient les déclarations de Feldman.

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