Le Fonds monétaire international (FMI) brise la glace et entrouvre les portes des discussions avec le gouvernement et les partenaires sociaux en Tunisie. Et ce, après un froid glacial de presque deux ans. Cela ne garantit pas l’obtention d’un accord rapide et à la hauteur des attentes, alors que le Trésor public est exsangue, en cale sèche. Les discussions entre le FMI et le gouvernement tunisien repartent de plus belle ce lundi 14 février 2022, soit le jour de la fête de l’amour de la Saint-Valentin. Un hasard, sûrement.
Par Moktar Lamari, Ph.D
La crédibilité de la Tunisie a été sérieusement écornée par les 10 années de malgouvernance, au point d’atrophier les marges de manœuvre. Même si le début de neutralisation de l’islam politique constitue un atout à faire valoir pour l’aboutissement d’un accord d’ici juin. Mais pas avant…
Restaurer la crédibilité de l’Etat
La marge de manœuvre de la Tunisie est mince, et ce pour au moins deux raisons. D’abord, la calamiteuse situation économique et l’affaissement sans précédant des soldes des comptes publics ne permettent pas au gouvernement tunisien de continuer tergiverser mielleusement et à procrastiner à l’infini.
Pour 2021 et 2022, les budgets de l’Etat ne sont pas bouclés et il faut trouver illico presto l’équivalent de 10 milliards de $ US, de l’argent frais pour tenir le coup et éviter l’effondrement de l’Etat. Les salaires des 850 O00 fonctionnaires ne sont pas garantis sans entente avec le FMI, quoi qu’on en dise, 200 000 sont de trop!
Ensuite, le FMI ne veut pas continuer à être le dindon de la farce de l’islam politique en Tunisie. Le FMI ne croit plus aux engagements vaseux, poreux et irréalistes dans le cadre des réformes économiques plusieurs fois promis, mais jamais tenus, faute d’engagement ferme de l’Etat et faute de crédibilité de toute cette ribambelle de néophytes ministres de l’économie, des finances et réformes qui ont représenté le pays lors des précédentes négociations avec le FMI, depuis 2013 à nos jours.
L’islam politique désormais mis hors-d’état de nuire
C’est un point positif, pour ces négociations Tunisie-FMI qui arrivent alors que le gouvernement est franchement épuré des virus de l’islam politique et alors que le parti islamiste est mis au pied du mur, pour ses responsabilités dans la débâcle de l’économie et pour toutes ces violences et meurtres de démocrates par des religieux. Crimes restés impunis depuis plus 7 ans.
Le parlement, qui est devenu un refuge pour l’islam politique et un point de ralliement pour la pègre de la corruption, est aussi mis sous scellés en attendant de nouvelles élections. Et une réhabilitation du système de la justice.
La neutralisation de l’islam politique constitue une donne qui peut aider à changer relativement la tonalité et procurer plus de crédibilité aux négociations à engager avec le FMI, durant la semaine à venir.
Certes, la partie de bras de fer engagée par la Tunisie contre l’islam politique et ses dérives calamiteuses ne vient que commencer! Ce bras de fer est appelé à se corser avec le temps, au moins jusqu’aux prochaines élections et à l’investiture de nouveaux parlement et gouvernement, à savoir d’ici le printemps de 2023.
Mais, cette partie de bras de fer redonne de l’espoir et finira par remettre la Tunisie au travail, dans une nouvelle perspective et avec un nouveau schème macroéconomique.
La Tunisie est capable de retrouver son lustre et son branding, ses citoyens peuvent renouer avec la création de la richesse… Un optimise mobilisateur, au moins, à deux niveaux et pas les moindres:
– Un, la neutralisation de l’Islam politique va certainement mettre un coup de frein à l’affolante instabilité gouvernementale, et à ce carrousel de ministres néophytes mobilisés à la va-vite par la douzaine de gouvernements, en dix ans. Une espérance de vie de 8 mois par gouvernement, depuis 2011. Les islamistes de Rached Ghannouchi ont utilisé cet instrument pour faire avorter tous les projets et réformes économiques attendues par la Tunisie du post-2011. L’économie institutionnelle (Douglas North) a traité de ces enjeux qui déraillent des projets démocratiques et font foirer des ambitions économiques.
– Deux, l’amorce d’une réécriture de la Constitution de 2014 va certainement porter un espoir pouvant allumer les turbines de l’économie et pour remettre la discipline budgétaire de l’Etat au cœur des lois régissant la gouvernance et la crédibilité de la Tunisie dans le concert des nations démocratiques, sérieuses et capables de tenir ses engagements et valeurs éthiques.
La Constitution de 2014, imposée à la Tunisie par les condisciples de Rached Ghanouchi, fondateur de la branche islamiste en Tunisie, a évacué l’économie de son spectre, donnant toute la place à un identarisme conservateur fondé sur des principes rétrogrades inspirés par un radicalisme religieux importés de la Turquie,
Sur le 149 articles 35 les 13 000 mots de la Constitution de 2014, le mot économie figure une seule fois, et ce au détour d’un article qui n’a rien à voir avec l’économie et les finances publiques. Aucun article ne traite de l’économie,des impératifs de la croissance ou encore des processus de relance de l’économie et d’assainissement des finances publiques.
la réécriture de la constitution et la mise au rencard de l’islam politique peuvent constituer un atout à faire valoir auprès du FMI et autres sociétés démocratiques dignes de ce nom et prêtes à aider la Tunisie à sortir de la profonde crise qui la paralyse.
Le FMI a aussi ses principes d’engagements
Mais le FMI a aussi sa Constitution implicite, celle balisée par le Consensus de Washington. Ce consensus résume en une dizaine de principes la patinoire des réformes économiques qui peuvent inspirer les négociations envisagées entre la Tunisie et le FMI, la semaine à venir.
Le Consensus de Washington a été élaboré à la fin des années 1980 par John Williamson, et des économistes de la Banque Mondiale et du FMI. Il s’agissait de définir un programme de réformes adressé aux gouvernements considérés inaptes à résoudre, seuls, le problème de leur surendettement.
C’est le cas de la Tunisie. Et les principes de l’action du FMI sont au nombre de dix :
1- la discipline budgétaire : considérant que le déficit public est source d’inflation et de déficits extérieurs, l’austérité budgétaire vise à désendetter l’Etat, mais aussi à maintenir et à améliorer le pouvoir d’achat, essentiellement des catégories de la population les plus défavorisées;
2- la redéfinition des priorités en matière de dépenses publiques : les subventions à l’économie, à l’emploi, aux entreprises doivent être évaluées au meilleur de leurs rendements économiques, et pas gérés dans l’esprit d’un open bar, un puits sans fond;
3- la réforme fiscale : pour contrer l’évasion fiscale, la contrebande et la montée de l’économie informelle, mais aussi pour améliorer les finances de l’Etat et donner un nouveau souffle à l’économie, le gouvernement doit poursuivre un double objectif : élargir l’assiette fiscale et moduler les taux d’imposition marginaux;
4- la libéralisation des taux d’intérêt : le marché doit être concurrentiel pour fixer les taux d’intérêt. L’Etat doit veiller à ce que ceux-ci soient positifs en valeur réelle et modérés afin qu’ils soient attractifs pour les investisseurs nationaux et internationaux. Ici, le bât blesse au niveau des politiques monétaires menées par la Banque centrale et ceux qui profitent des dividendes du cartel des banques et des lobbyistes qui vampirisent l’économie et anéantissent l’investissement;
5- des taux de change compétitifs : l’objectif consiste de favoriser les exportations; la dépréciation monétaire contrôlée doit œuvrer dans ce sens, tout en évitant un dérapage inflationniste dû à des taux de change trop faibles;
6- la promotion des échanges : la développement des exportations ne pouvant se faire sans la libéralisation des échanges commerciaux, il est impératif de limiter et de moduler au cas par cas les barrières tarifaires et non tarifaires;
7- la libéralisation des investissements directs en provenance de l’extérieur : dans un premier temps, les investissements étrangers doivent ne subir aucune entrave; ensuite, les institutions financières internationales imposent la libéralisation des mouvements de capitaux, y compris le capital humain;
8- la privatisation : il s’agit d’abord de réduire le déficit public, de contenir l’interventionnisme étatique, mais aussi de rendre, par une gestion plus appropriée, les entreprises plus compétitives (sur les marchés libéralisés); les privatisations reçoivent, à ce titre, un large consensus des experts de Washington;
9- la déréglementation : la contestabilité des marchés, par l’élimination des barrières à l’entrée et à la sortie des marchés et le soutien de la libre entreprise, doit être appliquée sur une large échelle;
10- les droits de propriété doivent être renforcés pour favoriser l’initiative individuelle et permettre au secteur informel d’obtenir des titres de propriété à des coûts acceptables et sans corruption au sein des processus liés.
Les réformes économiques attendues du gouvernement tunisien ont besoin d’une vision structurée et d’un schéma macroéconomique crédible et articulé sur la base d’une gouvernance axée sur des résultats mesurables par des mécanismes de suivi et d’évaluation modernes et transparents.
* Universitaire au Canada.
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Le nouvel ambassadeur du FMI en Tunisie, qui est-il?
Tunisie: le discrédit officiel des économistes du sérail ?
Tunisie : Le déni de l’économie de la Constitution 2014
Donnez votre avis