Le projet de nouvelle constitution, proposé par le président de la république Kaïs Saïed, publié le 30 juin dans le Journal officiel et qui devra faire l’objet d’un référendum le 25 juillet prochain, fait déjà gloser, et à juste titre.
Par Dr Mounir Hanablia *
Ainsi qu’on s’y attendait, le président de la république y détient la substance du pouvoir, pour ne pas dire sa totalité; il pourra même prolonger ses mandats s’il l’estime nécessaire. C’est même une vision assez originale de l’Histoire qui y transparaît, remontant à la Constitution de Carthage en passant par le Codex Rouge. Si l’Etat n’y possède pas de religion, ainsi que le dit le Doyen Sadok Belaid, en revanche, y acquièrent droit de cité des entités abstraites telles que la oumma islamique ou arabe, ou encore virtuelles à l’instar de l’Etat palestinien avec sa capitale Al-Qods, sans anticipation d’un quelconque bénéfice, bien au contraire.
Chacun doit suivre la religion de son prince !
Quant au respect des droits humains tels que puisés dans les objectifs de l’islam, ou bien la diffusion des valeurs de l’islam dans l’éducation des jeunes, cela exclut d’emblée toutes les autres confessions, ou bien encore les laïcs et les agnostiques, de l’éducation, mais ouvre surtout la porte à toutes les interprétations possibles de la religion. Et celles-ci véhiculent en substance la vision spécifique d’un président quel qu’il soit en vertu du vieux principe «Ejus Regio, Cujus Religio» (chacun doit suivre la religion de son prince). Si demain Yamina Zoghlami est élue présidente, nous aurons peut-être un pacte avec le Pakistan au nom de la oumma islamique, et des médersas de type Regueb pour diffuser les valeurs de l’islam et ses «maqaced» (objectifs), en vertu desquels les droits des femmes seraient évidemment «respectés».
Visiblement, le chef de l’Etat joue sur la fibre religieuse et d’une illusoire aspiration à l’égalité et à la justice chez les «zwawla» (pauvres) pour mobiliser un électorat qu’attendent des jours difficiles, et la promulgation de l’évasion fiscale en tant que crime constitutionnel démontre bien où se situent les véritables préoccupations de l’Etat, celles du remboursement des créanciers étrangers.
La porte ouverte au régionalisme et à la division
Par ailleurs, si les partis politiques entendent contester son autorité au chef de l’Etat par le biais de l’Assemblée des représentants du peuple, il faudra qu’ils comptent avec l’autre Assemblée, celle des régions et des Cantons, dont la présence détonne dès lors qu’il soit bien précisé dans un article que le pays soit une entité territoriale inaliénable et indivisible.
Placer les régions en concurrence pour disposer des ressources publiques, c’est déjà instituer de jure le régionalisme, une plaie dont depuis l’indépendance le pays n’a fait que souffrir dans la réalité de tous les jours, et il n’y a de surcroît aucune nécessité historique à le faire. La Tunisie est un pays homogène partageant une histoire commune; elle n’est pas l’Espagne, l’Allemagne, ou le Royaume Uni, composés de peuples ayant des histoires politiques ou juridiques différentes, dans leurs régions respectives.
Or la nation demeure l’entité dépositaire de la souveraineté politique à l’échelon international, et un peuple sans territoire n’a tout simplement aucune réalité institutionnelle ni juridique, même quand il s’agit de parler en son nom, en lui imposant sans contestation possible les sacrifices inévitables.
* Médecin de libre pratique.
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