Nous publions ci-dessous la traduction française de la lettre ouverte par laquelle Sadok Belaid, le président de la Commission nationale consultative pour la nouvelle constitution, renie toute paternité du projet de nouvelle constitution publié par le président Saïed et qui devra faire l’objet du référendum du 25 juillet. «Il est de notre devoir de déclarer avec toute la force et la sincérité requises que le texte qui a été publié au Journal Officiel et présenté au référendum n’a aucun rapport avec celui que nous avons préparé et soumis au président», dit-il.
Le peuple tunisien aura rendez-vous le 25 de ce mois avec une décision dont dépendra son avenir : il votera un nouveau projet de constitution pour la république tunisienne dans le cadre d’un référendum populaire.
Nous espérons encore que ce processus électoral se déroulera dans les meilleures conditions et qu’il aboutira à une décision sans ambiguïté à travers un processus électoral honnête et équitable comme l’exige toute véritable démocratie.
Il a été officiellement décidé d’élaborer un nouveau projet pour le pays en mai dernier, et cette tâche a été confiée, en vertu d’un décret publié le 23 mai dernier, à une commission que son excellence le président de la république m’a fait l’honneur de présider et de coordonner ses travaux, à charge de lui soumettre un brouillon de constitution, le 20 juin, c’est-à-dire après un délai ne dépassant pas quelques semaines.
Nous avons relevé le défi malgré le court délai et malgré les pressions et les critiques qui se sont abattues sur nous de toutes parts, car nous étions convaincus que la contribution à l’élaboration d’un texte digne de notre peuple était nécessaire face à un référendum et à un projet national que la présidence était déterminée à faire aboutir de toutes les manières – que nous y participions ou non.
En effet, la commission, composée d’un groupe des meilleurs parmi les fils et les filles de notre peuple, était au rendez-vous et j’ai remis le projet en question au président à la date indiquée.
Nous avons déjà affirmé plus d’une fois que l’instance nationale investie de ce mandat est une structure purement consultative sans pouvoir de décision, comme certains l’ont dépeinte.
Cela signifie deux choses : premièrement, que la mission de la commission se termine automatiquement le jour où le projet est soumis au président, c’est-à-dire le 20 juin dernier; deuxièmement, le président de la république a le droit de décider de l’issue à donner à ce projet, droit que nous avons accepté comme condition qui nous était imposée par le décret ayant porté création ladite commission.
Cependant, ce droit a des limites convenues et qui sont fondées sur la garantie du maintien de la confiance mutuelle entre les deux parties, le président de la république d’une part, et la commission d’autre part, étant entendu, simultanément, que l’engagement de la partie en charge de la mission (c’est-à-dire la Commission nationale consultative) dans le cadre de cette confiance, et le respect par l’initiateur de la mission (c’est-à-dire le président de la république) de l’effort et des recommandations de ladite commission, et ce en y revenant, le cas échant, et en la consultant concernant les modifications qu’il pourrait apporter au projet proposé.
Dans tous les cas, des modifications partielles et mineures sont généralement acceptables.
Il en va tout autrement de l’introduction de changements radicaux dans l’intitulé et l’esprit du texte que nous avons présenté, comme c’est malheureusement le cas dans le projet présenté par la présidence dans le Journal officiel.
Il est de notre devoir de déclarer avec toute la force et la sincérité requises que le texte qui a été publié au Journal Officiel et présenté au référendum n’a aucun rapport avec celui que nous avons préparé et soumis au président.
C’est pourquoi, en ma qualité de coordinateur de la Commission nationale consultative, et après concertation avec mon ami, Amin Mahfoudh, et avec son accord, je déclare avec regret et en pleine conscience de la responsabilité envers le peuple tunisien, qui aura la dernière décision dans ce domaine, que la Commission est totalement innocente du projet que le président a proposé au référendum national.
Dans un souci de révéler toute la vérité et d’informer tout le monde, j’ai décidé de publier le texte intégral du projet, que nous avons travaillé des heures et des journées pour le réaliser, et dont je porte la responsabilité, et rien d’autre, devant le peuple et devant l’histoire.
Ce qui me pousse à dire la vérité va au-delà du souci de respecter les formalités généralement requises en matière de misions consultatives, et se rapporte à l’essentiel et à ce que nous considérons comme beaucoup plus grave : parce que nous pensons que le texte publié par la présidence de la république présente de graves dangers et écueils, et il m’appartient de les dénoncer.
La circonstance ne permettant pas que je m’étende davantage, je me contenterai maintenant d’en citer quelques-unes :
– suppression de l’identité tunisienne;
– référence suspecte à l’article 80 de la constitution de 2014 sur le «danger imminent» par lequel le chef de l’Etat s’approprie des pouvoirs étendus dans des circonstances décidées par lui-même, ce qui ouvrirait la voie à un régime dictatorial honteux;
– absence de toute responsabilité politique du président de la république;
– adoption d’un système suspect de régions et de cantons, ambigu et douteux qui nous réservera des mauvaises surprises à l’avenir;
– organisation lacunaire et injuste de la Cour constitutionnelle et de ses missions, comme le recours restrictif au corps de la magistrature pour choisir ses membres, et ce à travers un système de nomination qui réduit son indépendance;
– absence de la dimension économique, sociale, culturelle et environnementale du projet.
Last but not least, je tiens à exprimer ma gratitude à tous ceux qui m’ont aidé à accomplir cette tâche malgré les difficultés que nous avons rencontrées, c’est-à-dire tous les membres de la Commission consultative et ses agents ainsi que tous ceux que j’ai consultés, tout en louant leur l’honnêteté, leur patriotisme et leur ambition pour une plus belle Tunisie, et je les remercie pour leur confiance en moi personnellement. La publication de ce projet qui est le nôtre est aussi l’expression de mon respect absolu pour eux et pour leurs efforts.
Traduit de l’arabe par I. B.
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