Encore un été à la sérénité fragile en Tunisie. La faute à un échiquier politique dont le pluralisme de façade masque une versatilité et une inconstance réelles, alors que le pouvoir présidentiel se concentre de plus en plus et s’oriente peu à peu vers une forme monolithique. (Illustration: Bon, il a sa nouvelle constitution, qu’est-ce qu’il va en faire ?)
Par Jean-Guillaume Lozato *
Depuis plusieurs mois, et même depuis deux ans si l’on veut inclure la pause parlementaire, la Tunisie est gérée de manière tantôt arbitraire, tantôt distante et sans une réelle conscience des réalités.
Bien entendu, le président de la république Kaïs Saïed est le premier exposé aux critiques. Bien que grandement responsable en ce moment, veillons toutefois à souligner qu’il n’est pas l’unique responsable de la crise où se morfond le pays et qu’il vaut mieux analyser séparément chaque domaine en difficulté, tout en évitant les généralisations à outrance.
Une vision doctorale des choses
Ben Ali avait une vision martiale des choses. L’actuel locataire du Palais de Carthage en a une vision doctorale. Déformation professionnelle de cet universitaire – performant dans son domaine de spécialité, le droit, nous n’en disconviendrons pas – qui dirige le pays et son gouvernement comme l’amphithéâtre d’une faculté.
Le problème c’est que l’arène, cette fois, n’a rien à voir avec l’enseignement supérieur. L’hémicycle se matérialise à ce moment précis en agora politique où les questions économiques et sociales sont primordiales.
L’efficacité du style de management de Kaïs Saïed reste à prouver.
Une impression de distance, de hauteur voire de condescendance se dégage de l’actuel exercice présidentiel.
Conséquemment, le manque de communication peut générer d’intenses questionnements demeurés sans réponses. Le président est-il réservé, arrogant ou perdu et peu sûr de lui ?
Un processus d’accaparement de tous les pouvoirs, renforcé par des sursauts d’autorité, a conduit des changements intempestifs à des postes-clés. Ces modifications entretiennent l’instabilité politique.
Un pouvoir qui néglige l’économie
De plus, l’homme le plus haut placé de l’État tunisien a fragilisé le socle de la nation en divisant les Tunisiens et en révisant certains points de la constitution dans le sens d’un surplus de divergences de fond. Par son attitude, il croit dénoncer l’excès de technocratie et de bureaucratie, mais il s’isole davantage de l’élite qu’il méprise comme de la population qu’il infantilise en parlant tout le temps en son nom sans essayer d’entendre ses doléances, avec comme moyen l’obstination à ne se consacrer qu’au législatif. Ce qui l’a mené à négliger les réalités économiques dont il ne perçoit ni l’importance ni l’urgence. Et c’est ce qui, au final, causera sa perte et celle du pays déjà traduite par les indicateurs au rouge.
D’un côté, le salafiste Kaïs Saïed. De l’autre, la cryptosphère de l’islam underground regroupant les franges islamo-conservatrices. La meilleure illustration de cette fausse opposition a été le récent débat autour des articles 1 et 5 du projet de constitution proposé au référendum du 25 juillet. Les deux parties se disputant le même électorat conservateur et opposé à toute tentative de sécularisation et de modernisation sociale.
D’où l’impression de fluctuation entre construction et déconstruction, encourageant la création de brèches revendicatives où s’engouffrent les mouvements contestataires autour de l’UGTT.
La frilosité des investisseurs
Au vu de ce panorama général peu rassurant, ne nous étonnons pas de la frilosité des investisseurs, qu’ils soient Tunisiens ou internationaux. Les difficultés économiques et la hausse continue de l’inflation représentent une urgence évidente, tandis que le maître du pays sombre dans de vaines polémiques identitaires qui ne donneront pas à manger aux plus pauvres ni du travail aux chômeurs…
Le Tunisien a pourtant changé. Ses besoins évoluent et se mondialisent. Pour preuve, les fêtes d’anniversaires de plus en plus fastueuses, les inscriptions dans les écoles privées huppées, un parc automobile dont la richesse contraste avec les moyens réels d’un pays aux finances exsangues.
L’accès au crédit est de plus en plus prisé, d’où l’endettement de l’Etat, des entreprises et des particuliers, tout comme l’accès au numérique, devenu un vecteur de gains et de valeurs.
Alors que l’investissement, intérieur et extérieur, se raréfie en Tunisie, C’est le Maroc, l’éternel rival nord-africain, qui est en train de se poser comme une destination plus attrayante pour les investisseurs, notamment dans le secteur automobile, où même l’Algérie voisine commence à montrer de l’appétit après une série de contacts fructueux au sujet du groupe Fiat lors de la dernière table ronde algéro-italienne.
Des velléités de soulèvement
A côté, la petite Tunisie est en voie d’atomisation. Le mélange toxique de technocrates sans envergure et de politiciens incompétents aux plus hautes sphères du pouvoir est en passe de déboucher sur une alchimie paralysante.
Kaïs Saïed, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs, pourrait bien cristalliser contre lui des velléités de soulèvement, en dépit des sondages qui soulignent encore sa popularité.
Mais les indices de popularité du président, qui s’effritent peu à peu par l’effet de l’usure du pouvoir, se font rattraper par la réalité des chiffres du chômage des jeunes (42%) et d’une inflation frôlant un taux à deux chiffres selon certains experts.
Une fois les résultats du référendum sur le projet de constitution connus, Kaïs Saïed et ses proches collaborateurs devront veiller en premier sur la santé économique du pays, surveiller la masse monétaire et se conformer aux attentes du FMI, dont ils sollicitent la générosité, et qui a tiré récemment la sonnette d’alarme: les réformes structurelles ne sauraient être retardées continuellement.
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