La constitution concoctée par le président de la république Kaïs Saïed pour fonder sa «nouvelle république» a finalement été promulguée. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Et on peut crier victoire, et même chanter et danser, sans craindre le ridicule, car rien ne sera plus comme avant. Mais ce serait comment ? (Photo : Johanna Geron – Reuters).
Par Ridha Kéfi
Le suspense était intenable. Douze millions de Tunisiens retenaient leur souffle. Et pour cause, leur avenir et celui de leurs enfants et petits-enfants tenaient à un fil… le fil du micro tendu à Farouk Bouasker, le président de l’Instance supérieure indépendante (de qui ?) pour les élections (Isie), qui allait annoncer l’approbation par le conseil d’administration qu’il préside du projet de constitution soumis au référendum du 25 juillet dernier.
Comme par une volonté divine
Cela se passait hier, mardi 16 août 2022, un mois après le scrutin marqué par une très forte abstention (les trois quarts des électeurs, et surtout des électrices, inscrits ont boudé les urnes) et les ingénus qui s’attendaient à une surprise de dernière minute en ont bien sûr eu pour leurs frais. Car tout était réglé comme du papier à musique. Pas de fausse note possible et on a tous chanté d’une même voix, la main sur le cœur et des trémolos dans la voix : le projet de constitution a été adopté par 94,6% de «oui», contre 5,4% de «non».
Ouf ! On avait craint le pire et c’est finalement le meilleur qui advient comme par une volonté divine, diront ceux qui croient aux oracles.
Tous les recours des parties ayant contesté les résultats préliminaires du référendum ont été déboutés par la justice, a annoncé M. Bouasker – ce que l’on savait déjà. Le résultat final, et définitif, pouvait donc être enfin annoncé : la nouvelle constitution, bien que vivement contestée par des pans entiers de la société (partis politiques, organisations non gouvernementales, intellectuels, constitutionnalistes…), entre donc en vigueur, après sa promulgation par le président de la république et sa publication dans un numéro spécial du Journal officiel de la république tunisienne (Jort).
Le peuple le plus heureux de la terre
Re-ouf ! Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ! Et on peut crier victoire et même chanter et danser, sans craindre le ridicule, car rien ne sera plus comme avant : les prix, qui ont tendance à flamber depuis un certain temps, vont commencer à piquer du nez; l’économie en berne depuis 2011 va redémarrer sur les chapeaux de roue; les entreprises publiques, presque toutes en faillite, vont résorber leurs énormes déficits; les 750 000 chômeurs vont trouver du travail et si l’Etat les recrutait tous, ce ne serait pas de refus; le FMI, la Banque Mondiale et autres Union européenne vont nous distribuer du chocolat, des bonbons et autres friandises; la contrebande, la spéculation et la corruption vont disparaître d’un coup de baguette magique et on va devenir, en deux temps trois mouvements, le peuple le plus heureux de la terre, grâce au génie d’un «maître des lois» qui gouverne par décret et n’écoute que lui-même ou, le cas échéant, l’écho de sa propre voix répercuté par ses partisans.
«La Tunisie à l’heure du changement» : certains lecteurs ont sans doute souri en lisant le titre de cet article, car il leur a rappelé un récent passé qu’ils croyaient révolu. Que nenni ! Thucydide disait que l’Histoire est un perpétuel recommencement, souvent d’ailleurs suivi d’un douloureux… retour de manivelle ! Et nous autres Tunisiens, qui avançons souvent à reculons, en savons quelque chose. Et pour cause, que de manivelles avons-nous reçues en pleine figure !
Honni soit qui mal y pense !
Donnez votre avis