Le poème du dimanche : ‘‘Fil du temps’’ (extrait) de Etel Adnan

Née à Beyrouth le 25 février 1925 et décédée à Paris le 14 novembre 2021, Etel Adnan est poète, romancière, peintre et essayiste, qui avait la double nationalité libanaise et américaine et vivait entre Beyrouth, Paris et la Californie.

Etel Adnan a été élevée dans une famille dont la mère née à Smyrne parlait grec et un père musulman beaucoup plus âgé que sa femme qui avait fait partie de l’état major turc de l’Empire ottoman. Elle a vécu son enfance à Beyrouth, allant à l’école française dirigée par des religieuses pour qui parler arabe était une faute. Son père a tenté de lui apprendre l’arabe mais cet ancien militaire n’était pas très pédagogue.

Après des études de philosophie commencées en France, à la Sorbonne, études supérieures continuées aux États-Unis, au sein des universités de Berkeley et de Harvard.

Tombée «amoureuse» de la langue américaine, elle se lance dans la peinture pour résoudre les rapports conflictuels des différentes langues qui la traversent. Elle enseigne aussi la philosophie de l’art aux Etats-Unis, tout poursuivant, parallèlement, son travail d’écriture.

Elle publie ses premiers poèmes en anglais, mais cette polyglotte maîtrisait à la fois le français, l’anglais et l’arabe et s’exprimait artistiquement aussi bien à travers la poésie que la peinture.

La liberté guidait également son pinceau et sa plume. «L’art abstrait, observait-elle, c’était l’équivalent à l’expression poétique; je n’ai pas éprouvé le besoin de me servir des mots, mais plutôt des couleurs et des lignes. Je n’ai pas eu le besoin d’appartenir à une culture orientée vers le langage mais plutôt à une forme ouverte d’expression.»

En 2020, le Griffin Poetry Prize récompense son livre ‘‘Time’’ écrit en français et traduit en anglais par Sarah Riggs.

Elle a publié en français ou en traduction française Au cœur du cœur d’un autre pays (2010); Là-bas (2013); Le prix que nous ne voulons pas payer pour l’amour (2015); Mer et brouillard (2015), Écrire dans une langue étrangère (2015), Nuit (2017) et Surgir (2019).

«L’amour, sous toutes ses formes, est la chose la plus importante à laquelle nous soyons jamais confrontés, mais la plus dangereuse aussi, la plus imprévisible, la plus chargée de folie. Cependant c’est le seul salut que je connaisse», écrit-elle.

il n’y a pas lieu de craindre ceux
qui insultent notre insoumission,
les vaincus auront toujours le
dernier mot

j’habite un invisible qui n’a ni
salle de bain ni entrée.
l’invisible n’a pas de propriétaire.
le rêve n’a jamais de murs,
et il n’y fait jamais froid

et mes ombres s’allongent
sur mon corps quand il dort,
et le ciel cesse d’être bleu, et
la lumière attend

nous n’avons pas de grandes actrices
dans nos petites épiceries et nos
hommes exportés par la faim se pressent
dans l’acier de l’hiver

je ne suis pas un fantôme longeant
le fleuve étranger, ni léopard ou
chouette. je suis un courant d’air

si on écrit, c’est qu’on ne peut pas
chanter, si on dort, c’est qu’on ne
peut pas vivre

la plupart du temps, la mémoire
ne sert à rien : les hôtels où j’ai attendu
ont disparu

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