«Faute grave» dit l’un, «saccage», dit-il l’autre… Le président Kaïs Saïed a accueilli le 26 août 2022, le président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), une république honnie par le royaume du Maroc… Mal lui en a pris : Rabat se fâche et rappelle son ambassadeur à Tunis, Tunis fait de même pour son ambassadeur à Rabat…
Par Samir Gharbi *
Pourtant, sur les faits, Kaïs Saïed, a eu – diplomatiquement – tort d’accueillir en personne le président de la RASD, Brahim Ghali… Il aurait pu – dû – déléguer cette tâche ingrate à son ministre, avec l’excuse qu’il y a plus de 80 personnalités à accueillir… Mais, personne n’a remarqué que le communiqué officiel publié par Carthage omet de préciser la fonction de son hôte, Brahim Ghali. Lisez en arabe :
استقبل رئيس الجمهورية قيس سعيد، اليوم الجمعة 26 أوت 2022 بالمطار الرئاسي، السيد ابراهيم غالي بمناسبة مشاركته في الدورة 8 لندوة طوكيو الدولية للتنمية في إفريقيا
Cette omission volontaire témoigne du souhait de Kaïs Saïed de ne pas écrire noir sur blanc : «président de la RASD», et pour cause: la Tunisie n’a jamais reconnu officiellement la RASD.
Mais cela n’a pas suffi à calmer la colère du roi Mohammed VI, très mécontent depuis quelques mois de voir le président tunisien faire des mamours au président algérien Abdelmadjid Tebboune. En négligeant depuis 2019 d’en faire autant avec le Maroc…
Mais, la Tunisie a le droit de ne pas plier l’échine à chaque demande extraordinaire de son voisin au-delà de l’Algérie… Souvenez-vous, Habib Bourguiba a été le premier à reconnaître l’indépendance de la Mauritanie, sachant bien que cela n’allait pas plaire au Maroc qui considérait (et considère toujours) que les territoires du Sud (Mauritanie, colonisée par la France et Sahara occidental, colonisé par l’Espagne) lui appartiennent «historiquement»… Exactement, comme la Palestine appartient «historiquement» aux Juifs… Ici, s’arrête le parallèle.
Le communiqué du Maroc suite à cet «incident» est significatif : «Après avoir multiplié récemment les positions et actes négatifs à l’égard du Royaume du Maroc et de ses intérêts supérieurs, l’attitude de la Tunisie dans le cadre du processus de la Ticad (forum de coopération Japon-Afrique) vient confirmer de manière flagrante son hostilité…»
Le Maroc – et les commentateurs tunisiens hostiles à Kaïs Saïed – oublient que la RASD est membre de plein droit de l’Union africaine (UA) depuis 1982, soit quarante ans. Rabat a beau essayé de l’exclure de l’UA, en vain. Après avoir quitté l’UA, le Maroc a dû revenir et accepter de s’asseoir dans la même salle que le président de la RASD, de participer aux mêmes débats, de fréquenter les mêmes couloirs…
Le sommet Japon-Afrique (dit Ticad) précise que tous les Etats africains membres de l’UA sont de droit invités à y participer. Cela a été la pratique jusqu’au Ticad 7, tenu au Japon. Pourquoi, au Ticad 8, organisé à Tunis, «on» déciderait de ne pas inviter la RASD pour satisfaire le désiderata de l’un des pays membres ?
Ce qui a manqué pour éviter cet incident «prévisible», c’est une parfaite communication «diplomatique» avec le Maroc : oui, on doit inviter le président de la RASD, comme les autres pays organisateurs du Ticad l’avaient fait, mais on met les bonnes formules et les manières adéquates, qui ne blessent ni l’invité, ni son ennemi juré.
Et ça, c’est une nouvelle crise à mettre au débit de la diplomatie tunisienne.
* Journaliste.
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