Le ministère des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger a qualifié de «pertinente» la décision de l’Arabie saoudite de baisser la production de pétrole à partir de novembre de cette année dans le cadre de l’Opep+. Mais pourquoi notre pays se mêle-t-il de cette affaire qui met en jeu des intérêts géostratégiques qui la dépassent ? Ne risque-t-il pas de se brûler les doigts en jouant avec le feu ? (Illustration : improbable lune de miel entre Mohammed Ben Salmane et Vladimir Poutine).
Par Ridha Kefi
Dans un communiqué publié mardi 18 octobre 2022, le ministère a souligné que cette décision avait été prise à l’unanimité des pays de l’Opep+, «compte tenu de son impact sur l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché mondial, qui connaît une instabilité», ajoutant que cette instabilité pourrait avoir des répercussions sur les pays producteurs, exportateurs et consommateurs.
L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et la Russie, également connue sous le nom d’Opep+, ont décidé de réduire la production de 2 millions de barils par jour à partir de novembre. Il s’agit de la plus importante baisse de production depuis le début de 2020, et qui a été rejetée par plusieurs pays, dont les États-Unis d’Amérique.
De quoi se mêle-ton ?
La position tunisienne favorable à cette baisse peut surprendre plus d’un. Et pour cause : la Tunisie n’est pas membre de l’Opep et elle ne tirera aucun bénéfice de cette baisse. Au contraire, celle-ci lui causera d’énormes pertes. Etant un petit producteur de pétrole, la Tunisie importe la moitié de ses besoins pétroliers et son déficit énergétique est en train d’atteindre des niveaux historiques, creusant dangereusement ses déficits financier, budgétaire, commercial, extérieur, etc.
Quelle mouche l’a donc piquée pour se fendre d’un communiqué officiel soutenant une décision qui, comme on l’imagine, ne va pas plaire (c’est un euphémisme) à ses principaux partenaires et bailleurs de fonds : Etats-Unis et Union européenne en tête. A moins de considérer la Russie de Poutine et l’Arabie saoudite de Mohammed Ben Salmane comme des partenaires incontournables de notre pays; ce qui est loin d’être le cas, à notre humble connaissance.
Ce surprenant soutien de la Tunisie à la décision saoudienne de baisser sa production pétrolière à partir de novembre ne saurait non plus s’expliquer par le devoir de solidarité entre Arabes et Musulmans, car l’enjeu d’une telle décision dépasse le cadre de cette langue de bois soporifique qui n’endort plus personne. D’autant que la Tunisie aurait bien pu éviter de s’engager dans un tel débat qui met en jeu de gros intérêts géostratégiques qui la dépassent. Pourquoi donc a-t-elle cru devoir se fendre d’un communiqué qui pourrait lui poser plus de problèmes qu’il n’en résoudrait? Y avait-il péril en la demeure? Si elle ne l’avait pas fait, est-ce que les Saoudiens le lui auraient reproché ? Non, bien sûr, car peu d’autres pays au monde, se trouvant dans la même situation que la nôtre, l’ont fait.
Un mal pour un bien ?
Si donc la Tunisie a tenu à annoncer aussi tapageusement son soutien à l’Arabie saoudite dans cette affaire, c’est sans doute qu’elle a de bonnes raisons de le faire ou qu’elle croit pouvoir en tirer un hypothétique bénéfice. Et ce bénéfice espéré est à mettre en lien avec le récent accord de principe passé avec le FMI pour un nouveau prêt de 1,9 milliard de dollars.
Explication : ce montant est très faible en comparaison avec les besoins de financements extérieurs de notre pays et ne saurait lui permettre de sortir de son étouffante crise financière actuelle. Il pourrait cependant lui ouvrir les vannes d’autres financements multilatéraux et bilatéraux, dont tous les experts soulignent l’urgence. Et c’est là où le communiqué du ministère des Affaires étrangères, de l’Emigration et des Tunisiens à l’étranger trouve sa seule explication plausible. Il s’agit, à l’évidence, d’un appel du pied diplomatique en direction de l’Arabie saoudite et des autres pays arabes membres de l’Opep : notamment les pays du Golfe et l’Algérie, qui sont actuellement en train d’engranger d’énormes recettes suite à la hausse des cours de pétrole.
Appel du pied diplomatique, certes, qui pourrait se révéler utile si l’Arabie saoudite consent à aider financièrement la Tunisie (ce qu’elle a cessé de faire depuis 2011, car elle a toujours parié sur l’échec de la transition démocratique dans notre pays), mais si elle ne le fait pas ? L’hypothèse n’est pas à écarter. Ce serait alors un coup ce poker… perdant.
Wait and see…
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