Jusqu’à quand le pouvoir exécutif et la centrale syndicale vont-ils poursuivre leur jeu de cache-cache en se payant la tête des Tunisiens, qui sont les premiers concernés par les réformes économiques à mettre en œuvre, puisqu’ils seront les premiers à en payer la lourde facture en termes de pouvoir d’achat et de détérioration des services publics?
Par Ridha Kéfi
Dans ce jeu de dupes, qui n’amuse plus personne et fait perdre un temps précieux à la nation, les deux parties sont à blâmer car au lieu de jouer franc jeu et cartes sur table, quitte à provoquer quelques étincelles, du reste inévitables, aussi bien le pouvoir exécutif, incarné par la présidence de la république et la primature, que la partie syndicale, représentée par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), continuent de dialoguer par médias interposés, tout en évitant d’aller au contact et de dialoguer de manière franche et directe, afin de clarifier définitivement les enjeux et de mettre tous les acteurs concernés devant leurs responsabilités en cette phase cruciale de la vie de la nation, laquelle traverse, faut-il le rappeler, une grave crise dont la perspective de sortie s’éloigne chaque jour un peu plus.
Des cachoteries contreproductives
Alors, ces réformes économiques douloureuses que le gouvernement s’est clairement engagé à mettre en œuvre dans l’urgence – engagement en vertu duquel il a obtenu l’accord du Fonds monétaire international (FMI) pour un nouveau prêt de 1,9 milliard de dollars sur quatre ans – va-t-on enfin les révéler à l’opinion publique ou va-t-on continuer indéfiniment à les noyer dans un écran de fumée, tout en poursuivant leur mise en œuvre de manière inavouée ?
Quand le président Kaïs Saïed, qui incarne la réalité sinon la totalité du pouvoir exécutif dans le pays, et ce en vertu de la nouvelle constitution qu’il a lui-même fait adopter par référendum le 25 juillet dernier, va-t-il enfin se résigner à assumer les choix économiques libéraux de «son» gouvernement et arrêter de berner les Tunisiens par un discours populiste soi-disant soucieux du bien-être des couches les plus démunies de la population ?
Quand le chef de l’Etat va-t-il enfin accepter de se boucher le nez et de parler des sujets trivialement économiques, même si ces sujets l’ennuient beaucoup et lui causent des prurits, car c’est d’eux que dépend le bien-être des gens, et non pas des décrets relatifs à la mise en place d’un nouveau système politique hypercentralisé voire autoritaire qu’il cherche à mettre en place et dont il est le seul avec ses partisans à saisir l’importance et l’urgence ?
Ces interrogations sont d’autant plus légitimes que les questions relatives aux choix économiques du gouvernement et à ses engagements envers les bailleurs de fonds internationaux se posent avec acuité dans les cercles politiques et économiques, alors que les cachoteries de Carthage et de la Kasbah sur ces mêmes questions commencent à inquiéter sérieusement l’opinion publique, à commencer par les partis et les organisations non gouvernementales qui veulent connaître les détails de ces engagements pour pouvoir en mesurer les impacts futurs.
Ne pas se cacher derrière son petit doigt
On sait que le jour de l’annonce par son conseil d’administration de l’octroi du prêt à la Tunisie, le FMI publiera un communiqué où il révélera les tenants et les aboutissants de l’accord avec l’Etat tunisien, et ce jour-là, la présidence de la république et la primature ne pourront plus se cacher derrière leur petit doigt ou raconter des fables aux Tunisiens, lesquels ne manqueront pas de leur demander des comptes, d’autant plus que d’ici là, on s’attend à une détérioration de la situation sociale déjà tendue.
Autant donc s’armer de courage, assumer ses responsabilités et faire banco, en jouant cartes sur table et, surtout, en mettant toutes les parties devant leurs responsabilités, y compris – et surtout – l’UGTT, dont la responsabilité dans la détérioration de la situation générale dans le pays n’est pas suffisamment mise en évidence, tout le monde faisant la carpette devant son tonitruant secrétaire général Noureddine Taboubi, par lâcheté ou par opportunisme «politichien».
Bien sûr, l’Etat tunisien s’est engagé auprès de ses bailleurs de fonds à réduire la masse salariale dans la fonction publique. Il s’est aussi engagé à réduire progressivement la compensation des produits de première nécessité. Il s’est également engagé à privatiser certaines entreprises publiques en difficulté, notamment celles opérant dans des secteurs non concurrentiels. On devine, par ailleurs, qu’il s’est engagé à réduire les dépenses de l’Etat, à mettre fin aux recrutements dans certains secteurs et autres sujets sur lesquels il peut glaner quelques points pour réduire son déficit budgétaire en train d’exploser. Autant donc le dire clairement, sans dérobades inutiles ni contorsions discursives, et se préparer à remédier aux impacts dévastateurs de telles décisions sur les catégories les plus exposées.
Le fardeau doit être partagé par tous
«On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs», dirait l’autre. Mais un gouvernement responsable sait trouver les mots qu’il faut pour convaincre, mais aussi inventer des mesures correctives pour que le fardeau soit au final porté par tout le monde, sans exception, y compris, surtout, ceux qui ont profité depuis un demi-siècle des facilités et générosités d’un Etat servile pour amasser d’énormes fortunes pour eux et pour leurs progénitures.
Bien sûr, tout cela nécessite une ingénierie financière très fine qui consiste à faire payer le moins possible aux plus démunis et le plus possible aux plus nantis dans un souci de justice sociale, le but étant d’éviter une explosion dont tout le monde payera les frais, et surtout ceux qui ont le plus à perdre.
A bon entendeur…
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