Tunisie : la colère des jeunes des cités

Les jeunes de la cité Ettadhamen ont vu l’un des leurs mourir suite à une course poursuite avec des agents de l’ordre. Le drame de Malek Slimi témoigne des agressions verbales et physiques que les forces de l’ordre infligent souvent aux jeunes des cités populaires, sous le regard muet et parfois complice d’une justice qui préfère appliquer la loi à la tête du client. (Illustration : manifestations nocturnes des jeunes à Ettadhamen suite au décès à l’hôpital de l’un de leurs camarades).

Par Meriem Bouchoucha

Les habitants de la cité Ettadhamen à l’ouest de Tunis continuent à être harcelés après avoir été pendant des nuits entières sous les bombes lacrymogènes.

Dernièrement, un jeune étudiant qui a partagé des vidéos et des photos a été arrêté chez lui à Sousse avec l’accord du ministère public ou du moins sans que celui-ci ne réagisse.

La mort du jeune Malek Slimi, qui est décédé après une longue souffrance à l’hôpital suite à une fracture de la colonne vertébrale dont la police n’est, comme d’habitude, aucunement responsable, comme celle du jeune de Menzel Bourguiba, décédé récemment suite à une over dose, selon les dires de la police, ou celle du jeune de Sidi Hassine qui s’est fracassé le crâne tout seul, ou le prisonnier qui s’est suicidé à quelques jours de sa mise en liberté après avoir purgé toute sa peine… sont toutes des morts suspectes qui n’ont pas été suivies d’enquêtes sérieuses, faisant de l’impunité une politique d’Etat que dénoncent sans cesse les organisations non-gouvernementales.

Police et justice ou l’inséparable couple

Dans tout cela, la justice dort du sommeil du juste, se faisant parfois complice de l’exécutif.

Les jeunes des cités, véritables ghettos, sont abandonnés à leur triste sort par un Etat totalement dépassé et qui, comme seule réponse à leur désœuvrement et leur malaise, offre soit la matraque, soit la prison, se faisant ainsi l’ennemi des citoyens, abandonnés aussi par les sages autoproclamés qui font la fine bouche et appellent ces damnés de la terre au… respect de la loi.

De quelle loi parlent-ils, la loi à deux vitesses, celle des riches et celle des pauvres?

La maltraitance de ces jeunes est d’ailleurs un éternel recommencement.

L’hiver 2021, Hichem Mechichi et sa ministre de la Justice arrêtent des centaines de jeunes de la cité Ettadhamen. La cour d’assise refuse d’entendre les témoins et de voir les vidéos des caméras de surveillance. Ce refus d’écouter les témoins est d’ailleurs une pratique courante dans notre pays.

Ce qui arrive aujourd’hui à Ettadhamen et dans d’autres quartiers populaires de la ceinture de la capitale est ce qui est arrivé l’année dernière et toutes celles d’avant.

Entre-temps, son altesse républicaine a décidé de son propre chef de virer 57 magistrats, ce qui semble avoir fait peur à ceux qui ne l’ont pas été. Résultat : notre justice peine à se réformer et à se mettre exclusivement au service de la loi.

Ce sont ses bonnes vieilles pratiques qui perdurent : une justice conservatrice, qui adore mettre en prison et qui peine à comprendre que la république et la citoyenneté sont des valeurs inaliénables en toutes circonstances, manifestations nocturnes ou pas.

Les jeunes d’Ettadhamen ont vu l’un des leurs mourir suite à une course poursuite avec des agents de l’ordre. Le drame de Malek Slimi témoigne des agressions verbales et physiques que les forces de l’ordre infligent souvent aux citoyens, sous le regard muet et complice d’un parquet qui préfère appliquer la loi à la tête du client.

Complicité, hypocrisie et lâcheté

Le porte-parole du ministère de l’Intérieur, qui recule rarement devant l’indécence, se contente de tout justifier, mettant ainsi de l’huile sur le feu, assuré de la protection d’un ministre de l’Intérieur qui reste de marbre face à tous les dépassements commis par ses subordonnés.

Quant à son altesse républicaine, il n’a que faire des droits de l’homme et des citoyens, et on ne l’a jamais entendu prendre la défense d’un citoyen maltraité par la police ou recevoir les proches d’une victime de la violence policière.

Les Tunisiens à Ettadhamen et ailleurs sont obligés soit de vivre sous un régime quasi-policier, soumis aux dictats de l’étranger et ne montrant que peu de discernement dans la gestion des maux chroniques d’un pays en crise et dont les citoyens n’ont souvent d’autre choix, face à l’injustice, au chômage et à la maltraitance, que de manifester leur colère.

Le risque de récupération de ces mouvements par les islamistes et leurs collabos existe certes toujours, mais abandonner nos concitoyens à la merci d’une machine répressive de son altesse républicaine, de son grand vizir et de son vizir de la police n’y changera rien, bien au contraire. Cela apportera plutôt de l’eau au moulin des dirigeants d’Ennahdha, qui n’en demandent pas tant.

Le décès de Malek Slimi n’est pas un fait divers, pas plus que ceux de Karim, d’Omar, de Refka ou de tant d’autres.

Quant à vous, qui faites la sourde oreille, à l’intérieur comme à l’extérieur, vous ne tarderez pas à changer votre fusil d’épaule, quand l’ère de l’injustice élevée au rang de mode de gouvernement sera révolue, car votre hypocrisie n’a d’égale que votre lâcheté.

* Docteur en économie.

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