C’est l’histoire qui a donné à la Tunisie la langue française, imaginer que l’on puisse en changer d’un claquement de doigt est un leurre, et rappelons-nous qu’une langue appartient à celui qui la parle et non à un pays.
Par Walid Sahnoun *
Le 18e sommet de la francophonie vient de se tenir à Djerba les 19 et 20 novembre 2022. Les locuteurs de la langue française des quatre coins de la planète, cinquième langue de par le monde, se sont réunis pour débattre, en marge du sommet, de la compétitivité de la francophonie économique. Une façon peut-être de donner un sens plus réaliste à l’ensemble francophone, dans un domaine où il faut bien le dire l’anglophonie règne en maître, l’anglais dominant le monde moderne y compris en France, où la langue utilisée, même entre Français au sein des grandes entreprises est l’anglais, dont le parler courant est devenu obligatoire pour pouvoir être embauché.
On s’est alors inévitablement interrogé sur la question de savoir si en Tunisie, la langue française doit-être maintenue à sa place actuelle de seconde langue officielle après l’arabe, bien que nous soyons conscients que pour notre pays, le problème ne peut pas être qu’économique compte tenu de sa configuration historique.
L’anglais doit-il se substituer totalement au français, comme d’aucuns le préconisent depuis l’indépendance de la Tunisie, en 1956, ou avoir seulement la place qui lui revient au même titre que n’importe quelle autre langue ?
L’usage d’une langue ne se décrète pas
Dans les gouvernements qui ont dominé la dernière décennie, certainement en partie sous l’influence du leader du parti dominant (Ennahdha, Ndlr) et à raison d’un rejet endémique de l’ancien colonisateur, il avait été fortement question de substituer l’anglais au français, déjà au niveau de l’enseignement.
Mais en matière de langue, le problème est infiniment plus compliqué qu’il ne paraît et le pur rapport de force ne suffit pas à emporter la conviction.
Une langue doit être indéfectiblement liée à la culture d’un pays, à ses mœurs, à son histoire.
Et en cela l’histoire de la Tunisie, avec le protectorat à partir de 1881, a fait de la langue française la seconde langue du pays, une langue qui est parfaitement parlée par un bon nombre de Tunisiens et qui se trouve intégrée à la vie du pays, y compris dans ses éléments essentiels comme l’administration et l’enseignement, où de nombreux cours sont enseignés en français. Pour s’en convaincre, il suffit de se promener à travers Tunis et d’observer les enseignes des commerces où l’on en trouvera très rarement une écrite dans la seule langue arabe.
L’utilisation de deux langues courantes dont l’une est européenne est une richesse pour notre pays qui en tirera le plus grand bénéfice, ne serait-ce que pour se préserver d’un isolement toujours préjudiciable. Il n’est nullement besoin de disserter longuement sur le sujet pour s’en convaincre. Des intellectuels arabes, tel Tariq Ramadan, qui après 2011 venait en Tunisie donner des conférences, s’exprimait en français, ce qui lui avait été reproché et qui le conduisit à dire que la connaissance des langues est «une ouverture sur le monde qu’il faut la plus large possible».
Un jour je t’aime, un jour je te déteste
C’est un fait et rien d’autre, c’est l’histoire qui a donné à la Tunisie la langue française, imaginer que l’on puisse en changer d’un claquement de doigt est un leurre et rappelons-nous qu’une langue appartient à celui qui la parle et non à un pays.
Mais comme toujours la difficulté vient de ce qu’avec la France, les relations seront toujours viciées par le fait qu’elle a été le pays qui nous a colonisés et à qui l’on ne pardonne pas cette domination pendant trois quart de siècle, même si de nombreux Tunisiens ne semblent pas lui en conserver rancune et partent volontiers faire leur vie en France, y faire des études, s’y soigner, y faire du tourisme… et c’est justement grâce à la langue qu’ils s’y trouvent nullement dépaysés.
«Un jour je t’aime, un jour je te déteste» c’est toute l’histoire de nos relations avec l’ancien colonisateur, avec des hauts et des bas selon la personnalité des dirigeants des deux pays.
Ainsi, au décès du président Béji Caïd Essebsi, le président Emmanuel Macron fut le seul chef d’Etat occidental à s’être déplacé en juillet 2019 à Tunis pour assister aux obsèques du défunt président, alors qu’il était déjà venu l’année précédente lors d’une visite d’état en février 2018, à l’occasion de laquelle il avait remonté la rue Jemaa El Zitouna avec son épouse, sous les interpellations fraternelles d’une foule tunisienne venue l’accueillir, pratiquement sans la moindre intervention du service de sécurité de toute façon submergé.
En quelque sorte le «Je t’aime moi non plus» de Serge Gainsbourg, une chanson qui a fait florès de par le monde tant elle correspond bien à la nature humaine dans tous les domaines de la vie.
Bref, la francophonie est un cadre privilégié pour assurer le développement politique économique touristique culturel et cultuel
* Président de l’Utica d’El Menzah.
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