Le président de la république Kaïs Saïed n’a-t-il plus de réserve sur la venue à Tunis de l’ambassadeur Joey R. Hood, dont la nomination vient d’être confirmée par le Sénat des Etats-Unis avant-hier, mercredi 21 décembre 2022.
Par Imed Bahri
Les déclarations de M. Hood, le 27 juillet 2022, devant la commission sénatoriale des relations extérieures du Sénat américain, où le diplomate a évoqué parmi ses priorités en Tunisie, le «rétablissement rapide d’une gouvernance démocratique» et «la normalisation des relations diplomatiques et économiques de la Tunisie avec l’État d’Israël» ont été moyennement appréciées au Palais de Carthage et le président Saïed les a trouvées inacceptables, les assimilant à «une ingérence dans les affaires intérieures de notre pays et une atteinte intolérable à sa souveraineté», «car la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain», avait-il affirmé.
La Tunisie s’oppose-t-elle encore à la normalisation avec Israël ?
«Qu’est-ce qui a fait que le président change d’avis?», s’est interrogé l’analyste politique Adnane Belhajamor, en commentant l’officialisation de la nomination de M. Hood, laquelle avait pris un certain retard, en rappelant que la Tunisie, par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères Othman Jerandi, avait marqué son rejet des déclarations du nouvel ambassadeur américain.
«Est-ce la fragilité interne accrue de Saïed, surtout après les dernières élections (législatives sanctionnées par un taux d’abstention de plus de 90%, Ndlr), qui pousse ce dernier à oublier sa première position et à accepter que Hood vienne maintenant lui présenter ses lettres de créances ?», s’interroge encore Adnane Benhajamor, qui n’a pas été le seul à s’étonner de ce qui ressemble à un revirement de la part du président Saïed. On connaît l’attachement de ce dernier à la cause palestinienne et son hostilité à l’Etat d’Israël dont il a fait l’un des axes de sa campagne électorale en 2019, affirmant même dans un débat télévisé qu’il est catégoriquement opposé à la normalisation des relations de la Tunisie avec Israël, qu’il a d’ailleurs assimilée à… «une haute trahison».
A notre connaissance, rien n’a changé entretemps, en tout cas publiquement, ni dans la position de M. Saïed, ni dans celle des Etats-Unis, comme l’écrit Adnane Belhajamor en rappelant que «le gouvernement des États-Unis ne perd pas de vue la question relative à la normalisation avec Israël et semble résolu à la garder comme une priorité dans son traitement du dossier tunisien.»
Kaïs Saïed n’a rien vu ni entendu
Il y a certes eu, entretemps, les échanges d’amabilités entre la cheffe du gouvernement Najla Bouden et le président israélien Isaac Herzog, le 7 novembre dernier, dans les coulisses de la Conférence de Charm El-Cheikh (COP 27), en Egypte, dont une vidéo fuitée sur les réseaux sociaux avait fait des gorges chaudes à Tunis, sans que le président n’y ait réagi de quelque manière que ce soit, faisant comme s’il n’avait rien vu ni entendu.
Ce qui a changé, c’est que la Tunisie est au bord de la cessation de paiement et qu’elle attend sur des charbons ardents la finalisation d’un accord de prêt de 1,9 milliard de dollars conclu avec le Fonds monétaire international (FMI), dont le conseil d’administration, où la voix de Washington est prépondérante, a reporté l’examen, qui était fixé pour le 19 décembre.
«Politique du bâton et de la carotte pratiquée par Joe Biden et son équipe vis-à-vis de Kaïs Saïed ?», s’interroge encore Adnane Belhajamor, qui s’empresse d’ajouter : «Je crois que nous sommes en droit de fortement le supposer.» Supposer ?
M. Hood va donc venir à Tunis présenter ses lettres de créances au président Saïed qui devra donc «manger son chapeau», même s’il n’en porte pas, comme disent les Français de quelqu’un qui a dû changer d’avis sous la contrainte.
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